Renaissances

Fanny Desarzens, Chesa Seraina, Genève, Slatkine, 2023.

Fanny Desarzens, récompensée par un Prix suisse de littérature pour son premier roman Galel (2022), publie cette année Chesa Seraina aux éditions Slatkine. Laissant de côté les accents ramuziens de sa première œuvre, l’écrivaine met en place dans ce nouvel opus un dispositif énonciatif plus intime et tisse un récit sensible donnant à sentir la subjectivité d’une narratrice en quête d’elle-même.

La voix qui porte ce roman est celle d’Elena, une jeune femme dans la vingtaine décidant un jour de laisser définitivement sa routine urbaine derrière elle. Après avoir remis son studio étriqué et démissionné du cinéma dans lequel elle travaille, « pour la première fois, plus rien ne [lui] est égal » (30). Elena sait désormais où elle va, car elle veut mener à bien un projet fou : rebâtir de ses mains « Chesa Seraina », la maison de ses parents, située dans la campagne et détruite par les flammes lorsqu’elle était enfant. Habitée par le souvenir d’une période heureuse qui lui revient par bribes, elle se rend sur les ruines de la demeure et acquiert pas à pas le savoir concret nécessaire à la réalisation de son ambitieux dessein, notamment grâce aux conseils de Sylvain, Renarde et Victor, les propriétaires de la scierie du village. Ces personnages touchants apportent une aide précieuse à la jeune femme et deviennent de véritables ami·e·s : « On travaille. Et tandis qu’on cloue, on se raconte nos vies. » (64).

Après des mois de labeur dans des conditions parfois rudes, « le jour vient où la maison devient une vraie maison » (93). Alors que l’hiver laisse sa place au printemps et que les arbres se couvrent de feuilles, une bâtisse flambant neuve se dresse en lieu et place du champ de ruines. Cette reconstruction est aussi une forme de renaissance : Elena ne s’est pas contentée de rebâtir naïvement Chesa Seraina « comme avant », mais est véritablement parvenue à fabriquer quelque chose de nouveau. En effet, au fil des rencontres et des apprentissages, la jeune femme s’est elle-même transformée en parvenant à trouver un épanouissement dans le travail manuel et à éprouver la poésie du quotidien. En se réconciliant avec son passé, elle s’est donné les moyens de se diriger avec confiance vers l’avenir, en regardant vers l’horizon où « la lumière blanche du crépuscule s’efface doucement et le ciel s’embrase » (119).

Au niveau de l’énonciation, le roman propose une alternance entre une narration à la première personne, relatant dans une langue simple au rythme chaloupé les actions et les pensées d’Elena, et la forme épistolaire, à travers la correspondance qu’entretient la protagoniste avec son ami Jean, parti s’installer au Canada, en pleine nature. Ces lettres constituent autant d’occasions pour la narratrice de prendre du recul et de faire le point sur sa trajectoire ; Jean, quant à lui, se fait en quelque sorte le double du lecteur ou de la lectrice en ce qu’il est le témoin, à distance mais avec une bienveillance sans faille, des décisions courageuses de son amie. 

À travers les figures de Jean, de Sylvain, de Renarde, de Victor, mais aussi des parents d’Elena ou de Rose, sa sœur, le roman de Fanny Desarzens offre une réponse pleine d’espoir à la quête de sens de sa protagoniste. Elena finit par trouver un sens à son existence dans ses relations, amicales et familiales, qu’elles soient déjà bien établies ou en cours de construction, à l’image de la maison qu’elle érige. Et peut-être aussi, de manière en apparence paradoxale, en parvenant à « ne pas toujours chercher le sens des choses » (115), selon le conseil avisé de Jean. 

Noé Maggetti

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