Numéro 44 – Roue libre

Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique.

Roland Barthes, Mythologies, 1957

Il n’est pas anodin que Roland Barthes situe la voiture parmi les « mythologies » qu’il s’efforce de décrire dans son célèbre ouvrage au titre évocateur. Symbole de la modernité, mais également d’indépendance, elle occupe une place centrale dans la société occidentale depuis plus d’un siècle et constitue également un imaginaire fécond pour des artistes de tous bords – notamment des écrivains et écrivaines, de Marcel Proust faisant de véhicules motorisés des déclencheurs du souvenir dans la Recherche du temps perdu à Jack Kerouac et ses contemporains de la beat generation, fascinés par le réseau routier étasunien.

Toutefois, au cœur d’une époque marquée par le réchauffement climatique, les effets dévastateurs des gaz à effet de serre et la multiplication des catastrophes écologiques, il pourrait sembler hypocrite, contre-productif, voire dangereusement inconscient de mettre l’automobile à l’honneur, comme se propose de le faire le Cahier thématique de ce 44^e numéro d’Archipel. 

C’est toutefois le risque qu’a souhaité prendre le comité de rédaction de la revue, convaincu que ce motif éminemment littéraire stimulerait l’imagination des auteurs et autrices qui répondraient à l’appel et leur offrirait la possibilité de s’exprimer sans sombrer dans l’apologie des véhicules rutilants et polluants. Le pari s’est avéré gagnant, comme en témoignent les quatre textes de fiction qui ouvrent ce volume, tous marqués par des questionnements sociologiques ou écologiques.

Archipel 44, publié avec le soutien de la Section de français de la faculté des Lettres de l’Université de Lausanne, comprend 11 textes inédits entre critique et fiction, et fait se rencontrer des publications de chercheur·euse·s et écrivain·e·s confirmé·e·s et débutant·e·s, dans la tradition de la revue.