Kika : tendre violence et douleur comme outils de guérison

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© Agora Films Sàrl

Dans son premier long métrage de fiction, la réalisatrice française Alexe Poukine, nous fait découvrir Kika, une assistante sociale et mère d’une petite fille à Bruxelles, dont le monde va voler en éclat lorsqu’un amour aussi imprévu que passionnel disparait abruptement, la laissant enceinte dans une situation financière précaire. Nous suivons sa lutte pour retrouver équilibre et stabilité, à travers sa découverte de l’univers du BDSM.

Ce film a la particularité de mixer les genres, il ne se borne pas à l’étiquette de la romance, du drame, de l’action ou de l’érotisme, c’est un vrai fragment de la représentation de la vie. Il expose le parcours d’une femme, de son quotidien, de ses petites victoires comme de ses échecs, de ses joies et de ses peines. Il nous révèle des réalités cachées, des instants inavoués et inavouables que seuls ceux qui les ont déjà vécus peuvent pleinement comprendre. Cette réalisation met en lumière des expériences dures à vivre telles que le deuil, la précarité ainsi que les sacrifices et les conditions qu’il faut être prêt-e à surmonter pour en sortir, mais aussi la souffrance refoulée et la solitude. Les épreuves traversées par Kika sont d’autant plus violentes qu’elles la frappent de façon soudaine et imprévisible, ce qui rappelle au spectateur que la vie peut changer du tout au tout en quelques instants et que cela peut arriver à n’importe qui, n’importe quand.

Le montage du film est lui-même éloquent du chemin de vie du personnage, les ruptures et ellipses marquées définissent un avant, un pendant et surtout un après sa relation avec David, son amour fusionnel et entier dès leur rencontre, rappelant presque les films d’amour clichés. Cette structure est très démonstrative des différents chapitres que traverse Kika, cependant la mise en place du récit était presque trop rapide pour moi, ce qui m’a empêchée d’être pleinement en phase avec les événements qui arrivent très subitement. Malgré cela, le film est très accrochant et il est impossible d’en détourner les yeux du début à la fin, bien que certaines scènes puissent être un peu dérangeantes ou provoquer gêne ou  malaise lors du visionnage. En effet, en suivant l’assistante sociale dans son entrée dans l’univers BDSM, le spectateur partage son incompréhension, son embarras, ses doutes et son inconfort dû à son inexpérimentation. Si la dimension de domination sadomasochiste n’a initialement qu’un but lucratif pour Kika, elle devient bientôt un réel soutien pour la jeune femme en lui offrant une « nouvelle famille » dans laquelle on s’entraide et se soutient, mais surtout dans laquelle il n’y a pas de jugement ni de tabou et où les autres femmes la comprennent de par leur activité similaire.

À travers la domination du corps des autres, le film nous expose comment l’impression de contrôle sur la douleur nous permet de mieux gérer la « réelle souffrance », la violence y est donc bénéfique voire libératrice. La brutalité dont Kika fait preuve sur les autres, les faisant souffrir pour leur plaisir, lui procure un exutoire dans lequel elle peut libérer sa colère et sa peine. Cette œuvre exprime donc l’acceptation du mal afin d’aller de l’avant, au moyen de la domination des autres, de soi et de sa propre douleur. La violence y est réparatrice, tandis que les actes tendres sont repoussés par la jeune femme et semblent la blesser plus encore que les coups donnés ou reçus, brisant toutes ses barrières. Nous assistons donc par ce prisme mélangeant violence et tendresse ainsi que douleur et satisfaction, à la guérison et à la renaissance d’une Kika plus confiante, plus forte, ayant accepté sa propre souffrance.

En d’autres termes, cette œuvre dans  laquelle l’identification aux personnages est aisée, nous permet d’ouvrir les yeux sur la fragilité de la vie, nous pousse à réfléchir et à voir notre propre situation sous un nouvel angle, en même temps qu’il livre un message d’espoir et de persévérance sur la guérison, la reprise en main de nos existences, ainsi que la domination de soi et de nos propres émotions.

Pour ma part, j’ai particulièrement aimé le travail du son, notamment sur les battements de cœur, symbole d’amour et du goût pour la vie ; ainsi que les éléments narratifs récurrents venant ouvrir et refermer les différents thèmes du récit et de la vie de Kika. Nous y retrouvons par exemple la chambre du «love hôtel » dans laquelle elle vient avec son amant, ouvrant ainsi un porte sur sa nouvelle vie sentimentale. En y revenant ensuite avec ses clients, c’est sa guérison, son amour propre et le chemin vers un retour à l’équilibre après les traumatismes qu’elle a traversés qu’elle acquiert. Les vélos reviennent également durant le film, tout d’abord menant Kika à la rencontre de David, puis accompagnant la joyeuse famille et encore comme image de la liberté finale. C’est un excellent film qui m’a remuée intellectuellement et moralement, il est touchant et sensibilise le public aux douleurs cachées. Je le recommande !

Lors de la première du film au City Club de Pully en présence de Manon Clavel, actrice principale interprétant Kika, cette dernière nous a révélé quelques anecdotes de tournage sur sa préparation et ses découvertes ! En effet, certaines scènes ont été préparées longtemps à l’avance, comme la dernière grosse séquence émotive du film travaillée en parallèle du reste durant presque toute la durée du tournage et pour laquelle l’actrice s’est empêchée de pleurer durant quelque temps afin d’être réellement en phase avec son personnage et de pouvoir craquer en même temps qu’elle ; elle confie que cela fut la scène la plus intense émotionnellement à jouer et à vivre pour bon nombre du personnel présent. Les témoignages de pratiquante(s) BDSM a également servi de source et d’indications pour le tournage, bien que l’actrice ait reçu comme consigne de se renseigner le moins possible, voire pas du tout, de sorte que ses réactions de surprises et déstabilisation soient authentiques !

Alors si vous avez envie de découvrir l’impressionnant et émouvant parcours de Kika tout en étant confortablement installé-e dans les sièges de cinéma les plus moelleux qui soient, filez au City Club Pully qui propose des projections jusqu’au dimanche 30 novembre !

Callyanne Vessaz (12.11.2025)


Kika

  • Réalisation: Alexe Poukine
  • Pays de production: Belgique
  • Genre: Drame
  • Acteurices: Manon Clavel, Ethelle Gonzalez Lardued, Makita Samba
  • Durée: 1h48