Everybody Loves Touda : l’expression musicale d’une voix bafouée (Critique)

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Dans ce film riche en émotions réalisé par Nabil Ayouch, nous accompagnons Touda, une mère célibataire désirant partir de sa petite bourgade marocaine et rejoindre la grande ville de Casablanca pour que son fils sourd-muet puisse bénéficier d’un meilleur enseignement et pour réaliser son rêve de devenir une cheikhate, chanteuse traditionnelle de Aïta, ces chants résistants parlant de libération et d’amour. Le récit suit son parcours, des cabarets provinciaux jusqu’à la grande scène, où l’artiste se produit sous le regard impudique des hommes pour lesquels le fait de danser et chanter semblerait être une invitation à aller plus loin. 

Ce que j’ai le plus apprécié dans le film, ce sont les performances vocales transcendantes, la puissance de ces prestations aux échos de liberté m’a donné des frissons. L’expression pure de la voix, magnifique et envoûtante, nous ancre dans le récit tout en nous envoyant en pleine figure les émotions significatives liées à ces chants ancestraux. Ce rapport à la voix peut également être vu comme une analogie à la voix politique ou à la place dans la société. En effet, Touda use de son talent en chant pour trouver un emploi, donc sa place sociale. Sa voix représente un moyen de contestation, permettant de transmettre ses convictions face à un monde qui ne cesse d’essayer de la réduire au silence. Ayouch met en évidence la persévérance et la détermination d’une femme souhaitant se faire entendre pour ce qu’elle est et non pour ce que les autres souhaiteraient qu’elle soit. Everybody loves Touda constitue ainsi une œuvre politiquement active et féministe, réhabilitant par la même occasion le statut très controversé des cheikhates. Ainsi, le thème du langage et de la voix sont extrêmement présents dans ce film qui nous permet de voir ses conséquences ou finalités, que la voix soit déployée en vocalises impressionnantes ou bafouée. Il est notamment intéressant de relever le mutisme du fils de Touda, entrant en scène après que cette dernière fut complètement étouffée par la société.

Si le fait que le film soit entièrement en VO arabe (avec quelques légères touches de français) pourrait dissuader certains d’aller en profiter, je vous assure que cela ne constitue pas un frein à la compréhension du récit ; et qu’au contraire, cela renforce le charme de l’histoire qui n’aurait pas la possibilité de toucher le spectateur comme elle le fait si on la sortait de son contexte linguistique.

Un autre point très appréciable se joue au niveau des couleurs de ce long métrage qui sont éblouissantes autant dans les scènes de jour, révélant tant les beautés que la misère de la vie de la jeune femme, que durant la nuit, lorsque Touda danse et chante, nous emmenant dans une sorte de monde exaltant, mouvant, presque dystopique créé par les éclairages de cabarets et les projecteurs des grandes scènes.

Pour conclure, Everybody loves Touda, faisant parti de la sélection officielle du Festival de Cannes 2024, est donc un film musical pleins d’espoir, de controverse et de détermination, laissant libre cours à l’interprétation du spectateur et ayant la volonté de rendre leur prestance à des femmes autrefois adulées. Un bon film ouvrant à la réflexion sur la réalité de notre monde et la réalisation de nos rêves !

Callyanne Vessaz  (18.12.2024)


Everybody Loves Touda

  • Réalisation: Nabil Ayouch
  • Pays de production: France
  • Genre: Drama
  • Acteurices: Nisrin Erradi, Joud Chamihy, Jalila Talemsi
  • Durée: 1h43