Trois Amies: encore des histoires d’amour hétérosexuelles (critique)

©DCM Film Distribution

Le prolifique réalisateur Emmanuel Mouret nous livre avec Trois amies son douzième long métrage en 24 ans. Sans jamais être au premier plan de la scène cinématographique française, le cinéaste tourne régulièrement avec des acteurs ayant la cote, souvent venant du monde du théâtre. On peut notamment souligner ici la deuxième participation consécutive de Vincent Macaigne. Le public cible d’Emmanuel Mouret est assez clair : ses films s’adressent généralement à des quarantenaires et cinquantenaires des classes moyennes et bourgeoises, souvent en questionnement sur leur vie de couple, professionnelle, ou les deux. Inutile de préciser que je ne suis pas le public cible mais son style très verbeux et littéraire me touche parfois et mon affection pour le théâtre me donne un certain plaisir à voir, sur grand écran, des acteur·ice·s galérer à parler sans élisions.  Après Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait en 2020 et Chronique d’une liaison passagère en 2022, j’étais curieuse de découvrir ce nouveau film, racontant visiblement l’histoire de trois femmes.

Pour résumer l’histoire : Joan (India Hair) est enseignante dans un collège, tout comme son amie Alice (Camille Cottin). Joan n’est plus amoureuse de son mari, Victor (Vincent Macaigne) et ne veut pas faire semblant. De son côté, Alice vit avec Eric (Grégoire Ludig) une relation sans passion, mais calme et reposante selon elle. Leur amie Rebecca (Sara Forestier) vit elle le grand amour avec son amant… Eric, le copain de Alice. La vie de ces trois couples – car oui le film fait davantage le récit d’histoires de couple que celui de trois amies – semble calme et tranquille jusqu’à ce que Joan tente de quitter Victor, qui meurt dans un accident après avoir bu pour oublier.

Oui, c’est un énième film sur les relations hétérosexuelles de quarantenaires blancs. Mais je m’attendais à ça et si vous voulez aller le voir, n’attendez rien d’autre que ça. Ma déception, comme amorcée dans le résumé, est que selon moi, le film échoue à placer les femmes au cœur de son récit, malgré ses efforts et des dynamiques relationnelles qui ne sont pas (toutes) dans la continuité de ce qu’on peut attendre de cette classe et de cette génération.

Commençons par le début, le film s’ouvre sur la voix de Vincent Macaigne qui nous présente les différents lieux où se déroule le film, idée sympathique en soi, puis les personnages, à commencer par Thomas, un personnage qui n’intervient qu’après une heure de film, puis Joan. Joan est explicitement désignée comme personnage principal du film, alors pourquoi la voix-over est-elle celle de son mari ? Pourquoi le premier personnage présenté est un homme secondaire qui n’arrive réellement qu’à la moitié du film ? Cette logique de placer, au niveau du scénario, la femme au premier plan mais de faire tout le contraire dans la forme intervient tout au long du film. Autant j’apprécie de venir confronter le récit et l’histoire, autant je n’apprécie pas du tout que ça se fasse au détriment des représentations féminines. Faire l’inverse, à savoir raconter l’histoire d’un homme mais de placer toujours les femmes au centre de la forme et laisser une voix de femme raconter l’histoire aurait été, je crois, plus disruptif.

Comme je le disais, cette logique est structurante au film. Par exemple, les plans fixes sont omniprésents, la réalisation d’Emmanuel Mouret est toujours assez discrète, peu de mouvements, peu de gros plans et toujours relativement longs. Pourtant, à de nombreux moments, ces plans sont centrés sur le personnage masculin, tandis que le personnage féminin navigue entre le champ et l’hors-champ. Le film se veut centré sur les envies, les besoins des personnages féminins ; pourtant les hommes imposent toujours leurs envies et leurs besoins et c’est cela qui fait récit. Le moment le plus intéressant et touchant du film est peut-être celui qui suit la mort de Victor. On réalise que Joan est une bonne mère célibataire, que sa relation avec sa fille est renforcée et il est intéressant de voir que ce sont ses amies qui semblent troublées. Encore une fois, c’est la voix-over de Victor qui nous narre ça, dommage, mais au moins c’est une séquence où l’on est centré sur les trois amies. Dans ce sens, une réplique du fantôme de Victor (Vincent Macaigne) m’a semblée révélatrice à propos de sa mort : « Ce qui est arrivé avec mon accident, c’est bien. C’est un peu comme si j’avais fait une psychanalyse en un temps record. » Ziak a dit « un bon ennemi c’est un ennemi dead », ici on dit « un bon mari c’est un mari dead ». À un moment du film, j’aurais préféré que tous les maris meurent pour qu’on se concentre enfin sur les trois amies qui n’ont finalement que peu de scène en trio.

Un autre reproche que l’on peut faire au film est celui d’être trop verbeux. Ça ne fait que parler, tout le temps. En sortant de la projection presse un homme a dit : « Eh bah dis donc, ça parle ! » Tout est explicité constamment. On sait que Emmanuel Mouret aime écrire le réel, proposer des dialogues qui sonnent vrais et écrits à la fois, mais là c’est trop. Dans la première scène dialoguée, Joan fond en larme devant son amie Alice qui cherche à la consoler et pour montrer cela, on ne voit le visage d’aucune des actrices. Joan cache son visage dans ses mains et Alice est de dos, aucun contre-champ donc pas d’accès à son visage. On ne peut qu’écouter ses belles paroles. J’aurais aimé avoir plus de place pour l’émotion de Joan, pour l’inquiétude de son amie. Au moment de la mort de Victor aussi, plein de choses déjà bien comprises par les spectateur·ice·s sont expliquée par la voix-over, là où on aurait potentiellement bien aimé se contenter de voir les choses.

Cela étant dit, je dois avouer que les personnages sont tous très sympathiques et j’étais content·e de les voir évoluer dans ce monde. Ça m’a fait du bien tout de même de voir un film sur des relations hétéro où le sexe n’est pas omniprésent, voire (presque) absent. C’était agréable de voir – surtout d’entendre – différents points de vue sur ce qu’est l’affection, l’amour, vivre avec quelqu’un. Chaque vision est respectée, entendue sans jugement, et semble possible. Certes, l’accomplissement de l’individu semble ne pouvoir se faire que par le couple dans ce film, mais passé ça c’est assez chouette de voir des quarantenaires se comporter comme des ados découvrant l’amour.

C’est ce qui m’amène à conclure en disant que ce film n’est pas mauvais. Il est fait de plein de belles et bonnes intentions, il est inoffensif, un peu maladroit, mais reste touchant par moment et peut tout à fait plaire à son public. Je vous le recommande pas forcément à vous directement, mais je sais que je vais en parler à mes parents. Je pense que les adultes qui sont ou qui ont été en crise de la quarantaine, qui ont remis ou qui remettent en question leurs sentiments et leur couple pourront se reconnaître et apprécier la douceur du film. Pour celleux qui sont ensemble depuis plus de 15 ans et qui veulent se faire une petite sortie en soirée de novembre, ce film semble approprié.

Jimmy Capdevila (06.11.2024)


Trois Amies

  • Réalisation: Emmanuel Mouret
  • Pays de production: France
  • Genre: Drame
  • Acteurices: Camille Cottin, Sara Forestier, India Hair
  • Durée: 117 minutes