The Substance: La perfection de la jeunesse, mais à quel prix ? (Critique)

©Filmcoopi Zürich AG

Avec Grave en 2017, Titane en 2021, Acide, Le Règne animal et Vermines en 2023, chacun présent à Cannes, nous sommes dans ce que nous pouvons appeler un renouveau du cinéma de genre français, allant du body-horror au fantastique pur. Avec The Substance, Coralie Fargeat ne fait pas exception à la règle. Confrontant Demi Moore à Margaret Qualley, la réalisatrice nous présente une vision radicale sur les critères de beauté sociétaux, au travers d’une star en déclin à qui l’on propose une nouvelle jeunesse, mais à quel prix ?

Ce film nous raconte l’histoire d’Elisabeth Sparkle (Demi Moore), ancienne star hollywoodienne étant actrice dans des programmes d’aérobic pour la télévision, dans un Hollywood contemporain, qui souhaite relancer sa carrière et vivre une seconde jeunesse. Elle reçoit un prospectus pour un programme nommé The Substance, qui lui permettrait de devenir une meilleure version d’elle-même. Une fois injectée, cette substance va dupliquer son corps pour en faire une copie dite parfaite parce que plus belle et plus jeune : Sue (Margaret Qualley). La condition est qu’elle doit jongler équitablement entre ses deux corps, alternant toutes les semaines, sans exception.

A priori, tout semble bien parti pour qu’Elisabeth puisse redevenir célèbre dans un corps plus jeune, se faisant appeler Sue. Excepté que Coralie Fargeat livre ici une véritable satire du monde des stars d’Hollywood, où le bonheur vire littéralement à l’enfer dans son final et où l’identité de sa protagoniste se perd entre qui elle est réellement et l’image qu’elle souhaite donner à voir au monde. La réalisatrice offre un terrain de jeux idéal pour ses comédien.nes, particulièrement pour Demi Moore et Margaret Qualley : les deux comédiennes s’approprient leur(s) personnage(s) et se partagent le devant de la scène, dans un registre opposé pour chacune, ce qui constitue le coeur de la satire sur les standards de beauté féminins. L’une brille sous les caméras d’un show d’aérobic, dans une tenue très sexualisée mettant en valeur son corps, l’autre complote dans l’ombre. Ce n’est qu’un seul et même personnage, le film le rappelle  : deux corps, mais un seul et même esprit. Et c’est là que réside le cœur du film, la perte d’identité d’Elisabeth : entre sa vie de femme approchant la soixantaine et sa « nouvelle » jeunesse, le personnage commence à détester qui elle est et les erreurs s’enchainent, le rêve se transformant progressivement en cauchemar dans lequel les choix effectués reviennent la hanter. Son identité propre lui est floue, totalement dissociée, ne sachant plus quel corps lui appartient vraiment, ni quelle vie elle mène.

Si sa protagoniste est perdue, ce n’est nullement le cas de la réalisatrice. Coralie Fargeat sait ce qu’elle veut faire et l’exécute très bien. Nous avons sous les yeux ce que l’on appellerait un « film de prouveuse », quelqu’un souhaitant prouver de quoi il/elle est capable. Coralie Fargeat crie son amour du cinéma grâce à des plans travaillés et faisant référence à d’autres films. L’une des premières scènes se déroule dans des toilettes, scène qui évoque de la manière la plus directe et explicite possible la fameuse scène des toilettes dans The Shining de Stanley Kubrick : l’angle et la position de la caméra s’en rapprochent, ainsi que la disposition des éléments du décor et la colorimétrie de la scène. Cependant, ce n’est pas le seul clin d’œil fait au film: le couloir amenant à ces toilettes semble être inspiré de l’Overlook hotel. Les motifs du tapis de sol sont très évocateurs du sol de ce même hôtel et la couleur orange des murs dégage la même aura de malaise que les murs du bâtiment. Mais ce n’est pas tout : la scène de la « naissance » de Sue cite directement l’Alien de Ridley Scott, le procédé étant presqu’identique. Et le final est un clin d’œil à La Mouche de David Cronenberg, déjà référencé pour d’autres de ses œuvres chez Julia Ducournau, ce qui fait de lui un pilier du cinéma gore.

En somme, The Substance est un film que l’on pourrait dire éprouvant. Si le scénario est de loin l’élément le plus faible du film, la crise identitaire d’Elisabeth en ressort. On y trouve d’une part, une protagoniste perdue, ne sachant pas qui elle est et de l’autre, des plans travaillés, esthétiquement parfaits et disséminant quelques clins d’œil à d’autres œuvres du même genre, sans paraitre lourds ou malvenus. Ce contraste met en scène une critique évidente des standards de beauté et de l’impact des attentes du public sur les corps féminins.

Pour conclure, si vous êtes amateurs de satires et de corps torturés, ce film est un incontournable du moment. Si ce n’est pas votre cas, laissez vous tenter, l’œuvre secoue et vous en sortirez changé.es et le plaisir visuel vaut le choc.

Lara Feiss (06.11.2024)


The Substance

  • Réalisation: Coralie Fargeat
  • Pays de production: Royaume-Uni
  • Genre: Horreur
  • Acteurices: Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid
  • Durée: 141 minutes