« Le Consentement » – Peut on dénoncer par la représentation ? (critique)

© Praesens-Film AG

Tout d’abord un rapide contexte : ce nouveau film de Vanessa Filho est une adaptation sur grand écran du livre éponyme de Vanessa Springora paru il y a 3 ans. Dans ce livre V. Springora dénonce les actes pédophiles de l’auteur Gabriel Matzneff et la relation qu’il entretenait avec elle alors qu’elle avait 14 ans et lui 49. Le film se veut être une adaptation du livre et a donc le même objectif : mettre en lumière les comportements de Matzneff (interprété par Jean-Paul Rouve) et les dénoncer. Tout d’abord je tiens à préciser une chose : je n’ai pas lu le livre. Je me suis un peu renseignée sur l’affaire mais ne jugerais le film qu’en tant que tel et donc comme seul responsable de son message. Maintenant que cela est dit, regardons ce qu’il est de ce film : vraie dénonciation ou une énième romantisation des violences sexuelles ?

Tout d’abord je vais répondre à une crainte très présente chez le public : le film ne prend pas le point de vue de Matzneff. La communication du film a beaucoup été faite autour de son interprète (Jean-Paul Rouve) et la peur de voir ce monstre au centre du film est née, heureusement à tort. Le film se concentre sur le personnage de Vanessa, interprété par Kim Hinge avec énormément de talent. Les gros plans sur le visage de la jeune comédienne (23 ans au moment de la sortie) sont omniprésents dans le film et ne manquent pas de transmettre un malaise et une ambiance oppressante aux spectateur·ice·s. Je dois admettre que ça m’a donné envie de quitter la salle après à peine 30 minutes de films, j’imagine que c’était un peu l’objectif. Jean-Paul Rouve lui aussi joue à merveille son rôle d’abuseur et plane à l’écran comme une menace constante, et rend impossible de ne pas serrer le point à chacune de ses apparitions.

Pour parer à ces jeux de comédien·ne·s excellents et nous garder à distance des faits, pour être sûre que l’on ne rentre dans pas une identification qui pourrait nous plonger dans une ambiance de romance toxique très en vogue dans le cinéma actuelle, Vanessa Filho — qui ne réalise ici que son deuxième long-métrage — nous confronte à des dialogues très littéraires et très peu naturels Plusieurs films censés dénoncer les violences sexistes et sexuelles (VSS) ont déjà failli à leur objectif en les romantisant, notamment chez les plus jeunes spectateur·ice·s. Fort heureusement ce n’est ici pas le cas, notamment grâce à l’emploi de cette langue littéraire qui nous met en distance tout en donnant plus de matière aux acteur·ice·s.

Il faut l’admettre : j’ai regardé ma montre plusieurs fois. Je me demandais quand est-ce que j’allais sortir de cet enfer. Pauvre Vanessa Springora (la victime de Matzneff autrice du roman dont est adapté le film) qui a dû subir cela pendant des années. L’ambiance est pesante, aucun répit ne nous est offert. Qu’il s’agisse des images dégoûtantes des mains de Matzneff, ses chuchotements ou la respiration haletante de Vanessa, rien n’est fait pour nous laisser tranquille ! L’exercice est réussi pour la réalisatrice mais cela était-il nécessaire de tirer en longueur à ce point ? À mon avis non. Après 30 minutes de film le propos est complètement assimilé par le public, pourquoi continuer ? Certes on en apprend plus sur leur relation, mais est-ce nécessaire au propos du film ? Le début et la fin sont probants : on découvre comment Vanessa tombe sous l’emprise de Matzneff et à quel point il est difficile d’en sortir, si l’on peut en sortir. Malheureusement, au milieu on se perd un peu, et on veut tellement raconter tout ce qu’il s’est passé que ça en devient brouillon.

La chronologie n’est pas claire, on voit Vanessa fêter ses 14 ans, puis soudainement, à la fin du film, on apprend qu’elle a 16 ans révolu et qu’elle peut quitter l’école sans que rien ne nous le laisse entendre. L’actrice ne vieillissant pas et paraissant toujours aux côtés de Matzneff on ne la voit pas grandir : On ne voit toujours qu’un porc de 50 ans avec une enfant de 14 ans. Cet élément, qui même s’il n’est pas majeur, m’a laissé troublée.

Cela, à mon sens, mène à la grande contradiction du film : la relation avec Youri. Youri (Jean Chevalier) est un garçon que Vanessa rencontre (leur rencontre est d’ailleurs quasi absente, le personnage de Yuri sortant presque de nulle-part) et avec qui elle va nouer un lien très superficiel dans le film. Elle quitte Matzneff pour lui, sans que le film ne donne d’explication. Le constat est clair : elle cherche un refuge chez ce garçon. Mais là, problème : Youri est à la fac alors qu’à ce moment du film on ne nous a pas tenu au courant de l’âge de Vanessa, elle a donc toujours 14 ans pour le public. Youri passe pour le « nice guy » présent pour cette pauvre fille manipulée alors que dans les faits, c’est un garçon plus âgé qui profite de la détresse d’une fille pour la séduire et être son sauveur. Cette relation n’étant pas le sujet du film elle n’est que survolée assez maladroitement. On pourrait penser que cela est juste une maladresse et que cela n’est pas grave, mais je ne suis pas d’accord. À mon sens, cela invalide le propos du film : pourquoi dénoncer une relation entre un homme de 49 ans et une fille de 14 ans mais ne pas être capable de dénoncer clairement la relation de celle-ci avec un garçon de 20 ans ?

Bilan mitigé pour ma part. Le film a de nombreuse qualité indéniable mais reste un peu en surface car il a trop à dire en 2h, et ça le rend plutôt indigeste. À mon avis, représenter les violences sexuelles est essentiel pour aider le public à les identifier, mais attention à ne pas se perdre ! En cette fin d’année j’ai aussi eu la chance de voir sortir How to Have Sex de Molly Manning Walker qui dénonce un autre pan des violences sexuelles mais qui sait être plus incisive, précise, en se concentrant sur des éléments mieux choisis. Au début du Consentement un carton nous informe qu’il est adapté d’un livre et que des choix ont dû être faits pour pouvoir faire une véritable adaptation. A mon sens, pas assez de choix n’ont été fait, ou alors pas les bons et c’est bien dommage ! Je salue l’essai, mais bien qu’ayant de vraies qualités, je ne recommande pas l’expérience du visionnage.

Jimmy Capdevilla (06.12.2023)


Le Consentement 

  • Réalisation: Vanessa Filho
  • Pays de production: France
  • Genre: Drama
  • acteurices: Kim Higelin, Laeticia Casta, Elodie Bouchez, Jean-Paul Rouve
  • durée: 118 minutes