« Beau Is Afraid » – et il y a de quoi

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Les amateurxices d’horreur psychologique l’ont tant attendu : le nouveau film réalisé par Ari Aster (Hereditary, 2018; Midsommar, 2019) est enfin sorti en salle ce mois d’avril dernier.

Après les trois heures de film, les lumières se rallument dans la salle et la sensation d’être totalement déboussolé surgit : on se demande ce que l’on vient de visionner, de ce qui vient de se passer, si tout cela ne relevait pas d’un très long épisode d’hallucination ou d’un bad trip. Surtout, on se demande si le scénario a réellement été réfléchit et , tant l’histoire est délirante et le récit décousu. Pourtant, Beau is Afraid a en effet été murement réfléchit dans la tête d’Aster depuis dix ans, et son épopée délirante a enfin pu voir le jour.

Avant toute chose, un élément du film qui marque les spectatrices dès les premières minutes, et jusqu’à la fin est le jeu d’acteur de Joaquin Phoenix, à couper le souffle. Habitué à jouer les « misfits » ou personnages au profil psychologique complexes (C’mon C’monJokerTwo Lovers, etc.), Joaquin se retrouve dans la peau de ce Beau Wassermann, quarantenaire hypocondriaque et paranoïaque vivant seul, et qui semble être l’homme le plus angoissé du monde. Dopé aux anxiolytiques, il va vivre la pire descente aux enfers imaginable à travers une odyssée absolument folle et improbable. Un voyage qui de prime abord commencera par le simple fait d’aller voir sa mère pour fêter l’anniversaire du décès de son père – qu’il n’a jamais connu – mais qui finira par être un périple tumultueux pour se rendre aux obsèques de sa mère, morte décapitée par un chandelier. Un accident de voiture, une convalescence chez d’étranges inconnus dont leur fils est décédé et leur fille semble manigancer d’étranges choses, une communauté d’adultes orphelins au beau milieu de la forêt ayant monté une pièce de théâtre, le périple de Beau sera loin d’être tranquille pour pouvoir honorer sa mère en étant présent à ses funérailles. La performance de Joaquin Phoenix est si forte qu’elle entraine les spectateurices à ressentir et être plongés dans les émotions et la folie délirante que traverse Beau.

Ce qui fait la force de ce long métrage réside aussi dans la question de l’auto-réflexivité. Aster maitrise parfaitement le jeu de la réflexivité et de la mise en abyme dans Beau is afraid, à un point ou cela en devient gênant pour les spectateurices, piégés elleux-même dans une situation perverse de voir la vie de cet homme s’écrouler peu à peu face à elleux, particulièrement dans les dernières minutes où Beau, entouré d’une arène de spectateurices, semble faire face à son jugement dernier quant à la culpabilité d’être un mauvais fils. Puisque c’est aussi cela qui suit le personnage de Beau, qui le traque durant ces trois heures : la question de la culpabilité. Des premières minutes du film où il se retrouve chez son psychothérapeute et où apparait en lettres majuscules “GUILTY” sur le carnet du médecin, au jugement final de beau, en passant par la culpabilité d’occuper une chambre chambre qui n’est pas la sienne, tout amène à se poser cette question: Beau est-il coupable ? Mais de quoi, d’exister ? D’avoir survécu à la chute initiale de sa vie, tombé sur le sol de l’hôpital lâché par un médecin lors de sa première minute d’existence ? De n’avoir pas assez aimé sa mère ? Tout cela est accompagné d’un jeu malsain avec la place du médium vidéo : entre filmer une personne s’apprêtant à sauter du haut d’un immeuble, l’adolescente du couple d’inconnu filmant Beau dans ses moindres faits et gestes, ou encore Beau réalisant qu’il est observé par le couple à travers de caméras dissimulées, les spectateurices sont finalement complices de cette machine infernale, et participent à la descente aux enfers du pauvre protagoniste. Cela peut alors encore mieux expliquer le sentiment de profond malaise lorsque le nom d’Ari Aster apparait et que les crédits commencent à défier sur la scène finale du public quittant le jugement de Beau, comme le public quittant la salle.

Et si toute cette culpabilité et cette folie vécues par Beau ne seraient finalement pas le fruit d’une manipulation odieuse de la part de ce qui l’entoure ? De sa mère, au couple qui le prend en charge à la suite de son accident, en passant par la fille dont il est tombé amoureux, enfant, lors d’une croisière avec sa mère. Est-ce que, à la manière de Gazlight (George Cukor 1944), le monde entier n’œuvrerait-il pas contre lui afin qu’il sombre dans une folie et une paranoïa profonde ? La manipulation pourrait aussi être remarqué sur un plan extra-diégétique, par la destruction d’Ari Aster de l’attente spectatorielle. Dans ce jeu malsain du réalisateur, ne laissant aucune manière à l’audience de deviner ce qui va se passer, on en viendrait alors à se demander si la personne qui manipule le plus grand monde n’est pas le réalisateur, jouant avec les émotions des spectateurices de manière malsaine en les déboussolant constamment et en ne leur octroyant aucun point de repère si ce n’est le personnage de Beau.

Cependant, malgré cet aspect angoissant et lourd, cette incapacité à trouver un point de repère et ce sentiment d’être manipulé, Beau is afraid fais rire, et peut-êtremême bien plus qu’il ne fait peur : la capacité d’Ari Aster à insérer du comique dans les pires situations reste elle aussi ingénieuse, à un point où l’on se demande s’il s’agit d’un film d’horreur ou d’une comédie. La musique cependant, composée à nouveau par Bobby Krlic (Midsommar) fait réaliser aux spectateurices par ses sonorités angoissantes et ses bruits de fond que ce film n’est pas qu’une comédie. La bande son elle aussi permet d’amener une couche supplémentaire de malaise dans l’audience. 

Bien qu’il soit une réussite sur de nombreux aspects, Beau is Afraid comporte toutefois ses points négatifs, notamment l’étrange obsession d’Ari Aster avec les représentations phalliques et la place du sexe au sein de ses films. Du début à la fin, les références pullulent à une telle fréquence que cela en perd progressivement tout caractère comique et devient plus ridicule que véritablement drôle On sourit bêtement en voyant les graffitis phalliques recouvrir l’intérieur de l’immeuble ou beau habite, mais on se demande si l’apparition d’un pénis géant caché dans un grenier était vraiment nécessaire (si ce n’est peut être pour jouer avec le fait que son père était, à en tirer de l’expression anglaise, « a massive dick »). Ces représentations vont même aller jusqu’à être directement thématisées et impliquées dans l’intrigue : En effet, Beau est né puisque son père est mort, et souffre du même mal que lui et que ses autres ancêtres : s’il éjacule, son cœur ne s’en remettrait pas et il mourrait sur le coup. Cependant, il serait possible de lire ses éléments comme une nouvelle couche d’éléments plongeant les spectateurices dans un étrange malaise face à la situation.

Finalement, qu’en est-il de l’appréciation générale de ce film ? Il est vrai que par son récit exposif est totalement délié, il n’est pas difficile de décrocher du récit et de voir les 3 heures passer de manière lente et pénible sans comprendre ce qui se passe à l’écran hormis un récit catastrophique. Toutefois, si l’aspect décousu du récit n’est pas un freint à l’appréciation du film, Beau is Afraid parait alors comme une épopée fantastique incroyable et captivante à chaque minute qui passe, un véritable voyage au sein même de la folie.

Annaëlle Poget


Beau Is Afraid:

  • Réalisation: Ari Aster
  • Pays de production: Canada
  • Genre: Drame comique, horreur psychologique
  • Durée: 179 minutes
  • Acteurices: Joaquin Phoenix; Nathan Lane; Patti LuPone; Amy Ryan