« Falcon Lake » – critique

© Temporary Import Filme

TW: Bastien Vivès

A la fin de l’année 2022 est sorti le 1er long métrage de Charlotte Le Bon, racontant l’histoire de Bastien, 13 ans, bientôt 14, et de sa rencontre la fille de la meilleure amie de sa mère : Chloé, 16 ans. 

Le récit fait alors le portrait des deux adolescents qui semblent fondamentalement opposés aux premiers abords : une adolescente qui ne souhaite pas se confronter au monde adulte et préfèrerait rester dans ses rêveries et histoires de fantômes, et un pré-adolescent peut-être trop impatient de devenir adulte. La différence d’âge mais aussi de genre créent une démarcation forte entre les deux jeunes. Par leurs interactions, Bastien se retrouve parachuté dans un groupe d’adolescents plus vieux que lui, avec des figures masculines aux caractère détestable, et pourtant criant de vérité quant à la performance masculine chez les adolescents. De l’autre côté, Chloé et son corps sont hyper-sexualisé par son entourage masculin, qu’il s’agisse de ses amis ou de son ex. Toutefois, les deux vont tisser des liens de plus en plus forts au fil des jours.

Aux premiers abords, on peut se dire que Charlotte Le Bon a su de manière assez juste retranscrire l’expérience de l’adolescence. Elle mentionne d’ailleurs dans le générique de fin qu’elle n’aurait jamais pu réaliser ce film sans ses propres expériences adolescentes. La relation entre Bastien et Chloé amuse et gêne, puisqu’elle rapproche les spectateur·ice·s de leur propre vécu : la sortie de l’innocence enfantine, l’alcool et les cigarettes en douces, les premières soirées et premières expériences sexuelles, les amours de vacances, la différence de genre – et de performance de genre– à une période charnière. Mais elle rend aussi mélancolique face aux aspects douloureux de cette période de la vie mis en scène : la facilité avec laquelle les plus jeunes peuvent être manipulés par des plus vieux, l’objectification des adolescentes, les angoisses de vivre dans un monde auquel lequel on n’appartient pas.  

Mais malgré sa manière exemplaire de faire un portrait des plus sincères de l’adolescence, ce film est hanté par un autre fantôme que celui des histoires de Chloé. En effet, Falcon Lake est librement adapté du roman graphique « une sœur » de Bastien Vivès. Le film de Charlotte Le Bon, qui plus est, est sorti dans une période proche du scandale lié au festival d’Angoulême et de la venue de Vivès et aux dénonciations par de nombreux mouvements militants du contenu incestueux et pédopornographique de ses romans graphiques. Là se pose alors la question : quelle est la ligne qui sépare l’œuvre originale “Une soeur” et son adaptation libre par Charlotte Le Bon ? et reste-t-il dans cette adaptation une part de la vision inexcusable de l’auteur initial ?

Il est compliqué de trancher, cependant, les plans sont clairs, les personnages et le jeu d’acteur aussi : la sexualisation des corps adolescents est présente à de multiples reprises. Le corps de Chloé est souvent découpé par la mise en cadre : gros plans sur son dos presque nu sous la douche avec Bastien, plan large où elle se trouve dans l’eau du lac avec dépassant uniquement à la surface son visage et ses seins, plan rapproché sur son visage lorsqu’elle se masturbe en face de Bastien. Le Bon trouve aussi une manière de suggérer des scènes à caractère sexuel entre les adolescents par des jeux de cadrage et de lumière. Tout ce qui ne peut pas être montré est fait dans l’ombre, mais tout est toutefois mis en scène : entre la scène de la salle de bain ou, dans le noir presque complet, Chloé retire son haut et se met à toucher Bastien, ou la scène ou Chloé et Olivier sont surpris dans le lac au milieu de la nuit. Il est cependant impossible de dire si tout cela provient de la volonté de Charlotte Le Bon dans la rédaction du scénario, ou de l’inspiration de l’œuvre originale. L’ambiguïté de la situation relève d’ailleurs de la tendance à la sexualisation des corps adolescents dans les coming of age movies. On pensera à Mid90s (Jonah Hill, 2018) ou Call me by your name (Luca Guadagnino, 2017), films mentionnés par Le Bon comme source d’inspiration de son premier long métrage[1]. Cette ambiguïté crée tout de même un sentiment de malaise sur le fond d’idée d’où proviennent les images qui défilent devant les spectateur·ice·s : un roman graphique où une adolescente initie un enfant à la sexualité. Finalement, le nom du protagoniste amène lui aussi à se poser des questions : Bastien. Référence à l’auteur de l’histoire originelle par Le Bon ou simple coïncidence ? Ce détail final, et pourtant fondamental, s’ajoute au malaise ressenti face à l’œuvre que Charlotte Le Bon. La question de l’implication de Le Bon se pose alors, puisqu’elle n’est en rien responsable des actes de l’auteur original de l’histoire. Cependant, les nombreux éléments mentionnés précédemment, ainsi que la volonté de Le Bon de prendre comme référence pour son film une histoire à caractère pédopornographique, rendent difficile de dissocier l’œuvre originale et son auteur de sa réadaptation par Charlotte Le Bon.

Pour ce qui en est du film dans son aspect individuel, Le Bon délivre tout de même un film d’une réelle transparence dans sa retranscription l’expérience adolescente pour son premier long métrage. Les plans de Falcon Lake sont d’une beauté sincère plongeant l’histoire au cœur de la nature, entre le jour et la nuit, la lumière de l’aube ou à la seule lumière d’un réverbère, au cœur de la forêt canadienne. Les plans sur les visages des adolescents permettent aussi de retranscrire, et de ressentir les émotions qui les traversent. A l’opposé, les plans ou Bastien ou Chloé se perdent dans l’immensité de l’environnement naturel fait écho à ce que représente le monde adulte aux yeux d’adolescents. Mais l’esthétisme et la justesse du propos ne permettent pas de dissimuler l’arrière-gout amère de l’œuvre dont le film est inspiré. 

En conclusion, le premier long métrage de Le Bon délivre une belle poésie mélancolique aux aspects fantastique sur l’adolescence, hanté toutefois par le fantôme de Bastien Vivès.

Annaëlle Poget (09/02/2023)

[1] Kombini, « Le vidéoclub de Charlotte Le Bon », 10 décembre 2022


Falcon Lake

  • réalisation: Charlotte Le Bon
  • Pays de production: France
  • Genre: drama
  • Durée: 100 minutes
  • actrices: Sara Monpetit, Joseph Engel, Monia Chokri