NIFFF, jour 2 : complots, masques et hommes-cis

[03/07/2022]

Deuxième jour au NIFFF pour nos deux trapézistes du multivers critique, au programme : slasher vénitien, fable macabre au cœur de la campagne britannique et science-fiction complotiste.

Men de Alex Garland (compétition internationale)

Lorsque Harper annonce vouloir divorcer de son mari, elle subit la colère de ce dernier. Après les menaces, le chantage affectif et les violences, il finit par se suicider, laissant Harper dévastée. C’est pour se reconstruire qu’elle loue une maison de campagne et part s’y isoler. Le repos de Harper ne sera que de courte durée. Elle fait face aux habitants de cet étrange village, tous plus oppressants les uns que les autres. Quand un homme nu apparait dans son jardin et tente de forcer l’entrée, Harper comprend que ces étranges hommes peuplant le village veulent se débarrasser d’elle.

Montrant la masculinité toxique sous plusieurs angles ; d’abord, à travers le mari abusif, ensuite à travers les multiples habitants du village – tous incarnés Rory Kinnear pour accentuer le l’étouffement masculin que subit Harper, Alex Garland signe un film dystopique jouant avec les codes du folk horror. Alternant régulièrement entre thriller et horreur, Men parvient à garder un rythme efficace et à captiver les spectateur·rices, malgré quelques clichés dans le récit.

Réussissant son pari de film d’horreur, Men pose en revanche problème dans sa volonté de critiquer les relations de genres. Garland passe tellement de temps à dépeindre les différents hommes du village, qu’ils deviennent les protagonistes principaux du film, asphyxiant davantage la place de Harper. Malgré la volonté du réalisateur de critiquer les représentations genrées des personnages, le film ne parvient pas à réellement attaquer les stéréotypes et se contente de quelques scènes montrant Harper refusant de se soumettre à son mari ou au pasteur du village. Ces quelques envolées « féministes » du récit, au milieu d’une mise en scène manquant cruellement d’empathie et d’intérêt envers sa protagoniste principale, paraissent dès lors assez grotesques. En cela, Men démontre bien qu’il y a encore du chemin à faire avant que les réalisateurs ne parviennent à thématiser les rapports de genre à travers d’autres moyens que, ou l’exacerbation caricaturale ou le traitement de surface minimaliste.

Alex


Something in the Dirt de Justin Benson & Aaron Moorhead (compétition internationale)

Si le covid semble s’en être allé et que le festival a repris une envergure joyeuse et sans contraintes de places, de masques ou de séances en ligne, son impact est encore bien visible, en particulier dans le film Something in the Dirt, du duo Justin Benson et Aaron Moorhead. Ces deux réalisateurs sont des habitués du NIFFF depuis leur premier film Resolution en 2012, et en parallèle de leur travail sur la série de Disney Moonknight, présentent cette année leur nouveau film, tourné durant le confinement.

Les stigmates les plus évidents sont le nombre réduit d’acteurs, eux-mêmes plus quelques rares autres personnes ajoutées au montage, le lieu, leur réel appartement de Los Angeles, et la sobriété de la mise en scène. Mais c’est par le traitement de son sujet que le film capture l’essence de l’époque.

Levi Danube, barman désabusé, emménage dans son nouvel appartement et fait la rencontre de son nouveau voisin John Daniels, photographe divorcé. Alors qu’ils transportent des meubles, un phénomène étrange se produit. Fascinés, les deux hommes décident de commencer le tournage d’un documentaire autour de ce phénomène, qui se reproduit de plus en plus fort. Cette quête de sens pour comprendre ce qui se passe devant eux se mêle petit à petit à leurs interrogations personnelles sur leur vie ratée.

Le film joue sur l’idée du documentaire pour brouiller les niveaux de lecture. Mélangeant ce qui semble être a priori la réalité du récit et des interviews face caméra, il glisse progressivement vers un patchwork plus éclectique nous forçant à questionner chaque image. Transformant les dates en numéro de téléphone, les graines de fruits en code morse, les personnages développent une paranoïa complotiste cherchant à faire sens de tous les signes, et celle-ci nous gagne peu à peu dans notre expérience de ce documentaire particulier.

L’épidémie a vu foisonner sur internet ce type de comportement, cherchant une réponse face au chamboulement de leur quotidien. Et si Something in the Dirt, n’évoque pas une seule fois le virus, il n’en reste pas moins un témoin révélateur d’une mentalité exacerbée par la crise, décrivant à la foi dans son histoire les dérives d’une quête de sens, et dans sa forme la fragilité du film et du témoignage pour juger de la réalité. Sous sa simplicité imposée par les circonstances se cache un film intrigant et original qui saura vous emporter.

Baptiste


Veneciafrenia de Álex de la Iglesia (section Ultra Movies)

Durant le Carnaval, cinq Espagnol·es sont en voyage à Venise pour l’enterrement de vie de jeune fille de l’une d’entre elleux. Dès son arrivée, le groupe est confronté aux manifestations anti-tourisme de masse, de plus en plus nombreuses dans la cité des Doges. Ce sera ensuite au tour d’un homme étrange en costume de Rigoletto de tourmenté les touristes, puis d’un étrange médecin de peste, et ce n’est que le début… S’en suit une chasse à l’homme au milieu de Venise entre les cinq protagonistes et les membres d’une société secrète vénitienne, bien décidée à mettre un terme à la surexploitation touristique de leur ville.

Dans ce Slasher, Alex de la Iglesia, habitué des mises en scènes exubérantes et des riches décors, propose un parallèle entre le tourisme moderne et la peste de Venise ; avec, à la place des rats, d’énormes bateaux de croisières et ses occupant·es. Si l’arrière-fond politique n’est pas d’une grande subtilité et le parallèle assez stéréotypé, le film n’en demeure pas moins efficace. De la Iglesia nous a déjà habitué avec d’autres de ses films – comme dans El día de la bestia (1995) ou encore dans Balada triste de trompeta (2010) – à prendre parti de manière assumée. Une manière de souligner le grotesque et la fausse naïveté qui se dégagent de ses œuvres. Et Veneciafrenia n’y échappe pas.

En puisant dans le répertoire et l’imaginaire autour du Carnaval de Venise, le réalisateur trouve un terreau idéal pour son esthétique. Bien que les fans des productions les plus grandiloquentes du réalisateur seront peut-être déçues de la mise en scène plus sage, et même parfois retenue, de Veneciafrenia, le film n’en demeure pas moins radical dans son style sans compromis. Il n’est pas étonnant qu’il soit sélectionné au NIFFF 2022 dans la catégorie Ultra Movies, explorant les formes les plus brutes du cinéma fantastique.

Alex