« La Mif » – Critique

© Aardvark Film Emporium / Stephane Gros

Famille décomposée

Récompensé aux prix du cinéma suisse, La Mif de Fred Baillif talonne, au sein d’un foyer d’accueil, un groupe d’adolescentes qui ne manqueront pas d’emporter le public.

Quel parcours atypique que celui du cinéaste genevois Fred Baillif. Basketteur professionnel durant sept années, puis éducateur social, il devient réalisateur en autodidacte au début des années 2000. Après une première partie de sa carrière consacrée au documentaire, Baillif se tourne, en 2015, vers la fiction avec son long-métrage Tapis Rouge. Dans ce premier essai, on retrouve déjà de jeunes comédien·nes non professionnel·les, une grande place laissée à l’improvisation et un style proche du documentaire qui seront au cœur de sa nouvelle fiction.

La Mif nous plonge abruptement dans un foyer pour adolescentes. Nous sommes en pleine nuit, l’image est confuse. Au plus proche des personnages, la caméra bouge rapidement pour tenter de saisir ce qui se passe. Ça crie, ça jure, ça hurle. Une adolescente est emmenée de force par la police alors que d’autres tentent de la retenir. Écran noir. Le film revient alors quelques jours en arrière lorsque Lora (Claudia Grob, impressionnante), directrice du foyer d’accueil, retrouve ses jeunes protégées après un important arrêt maladie. Mais alors que s’est-il passé lors de cette nuit ? Comment en est-on arrivé là ?

Avec cette introduction – il est vrai, un peu convenue –, Fred Baillif pose les bases de sa construction, ou plutôt déconstruction narrative qui questionne les institutions. Au long du film, le cinéaste s’échinera à décomposer son histoire et éviter toute linéarité, au point de nous faire douter de notre capacité à nous attacher aux personnages. En effet, le film enchaîne inlassablement de brefs chapitres – titrés d’après les prénoms des protagonistes – pour exposer les drames personnels (souvent très dures) de six adolescentes, auxquelles s’ajoute les nombreux éducateur·rices et leur directrice qui composent cette « famille » recomposée.

Un trop-plein de personnages et une structure programmatique qui pourrait rapidement nuire au long-métrage s’il n’avait pas un atout majeur : son impressionnant casting féminin. Six jeunes comédiennes en herbe qui ont puisé dans leur propre passée, au sein des foyers, pour créer leur personnage, improviser et incarner ces jeunes femmes, leurs désirs et leurs démons. Une remarquable bande de filles sur qui repose la réussite du film. Sans cette clique pas de Mif.

Yann Schlaefli (28/03/2022)