L’astronome Randall Mindy et sa doctorante Kate Dibiasky, tous deux chercheurs à l’Université d’État du Michigan, effectuent ensemble une terrible découverte : une météorite d’une taille colossale se dirige droit sur la Terre. Ils cherchent à avertir le gouvernement américain de cette catastrophe, afin qu’il engage les actions nécessaires pour l’empêcher. Malheureusement pour eux et pour le reste de la planète, communiquer une telle information s’avèrera plus ardu qu’ils ne le pensaient…
… Et pour cause : si le message ne passe pas, c’est que personne ne veut l’entendre. La présidente des États-Unis comprend qu’aucun intérêt électoral n’est en jeu, le 1 % des plus riches n’y voit aucun intérêt financier, et le reste de la population préfère s’intéresser aux potins amoureux des stars ou fantasmer des théories complotistes.
On l’aura compris : Adam McKay nous tend, avec Don’t Look Up, un miroir grossissant des problèmes sociaux, économiques, médiatiques, écologiques, politiques et institutionnels de la société américaine et même, plus globalement, du monde occidental. Si le film brasse avec une aisance incroyable ces nombreuses problématiques contemporaines tout en restant des plus cohérents sur le plan discursif, il a de plus réussi l’exploit de se situer à la croisée des genres cinématographiques : à la fois comédie absurde, drame intimiste, film catastrophe à grand spectacle et satire sociétale.
Cet entremêlement constant des tons et des genres pourrait amener le spectateur à l’impression dérangeante de faire face à un long-métrage ignorant quelle direction il se doit d’emprunter. Or, assez miraculeusement, le chemin qu’il choisit est évident : nous dire – ou plutôt nous hurler au visage – que notre monde est voué à sa perte et qu’en connaître le pourquoi et le comment n’y changera rien. On rit alors sincèrement devant l’imbécillité constante des protagonistes, mais on commence à le faire plus nerveusement lorsqu’on réalise qu’ils ne sont qu’un reflet de nous-mêmes, jusqu’à ressentir une réelle sensation de malaise et de fatalisme. Les émotions induites par Don’t Look Up sont diverses et leurs variations sont notablement imprévisibles.
Pour appuyer son propos, Adam McKay a eu la chance de travailler avec une brochette d’actrices et d’acteurs d’exception, qui s’en donnent toutes et tous à cœur joie dans un cabotinage des plus jouissifs. À cet égard, mentions spéciales à Leonardo Di Caprio – qu’il n’est assurément pas commun de voir incarner un scientifique pommé et constamment atteint de crise d’angoisse – ainsi qu’à Mark Rylance et Meryl Strip, réinterprétation à peine caricaturale du magnat Elon Musk et version féminine de l’ex-président Donald Trump.
Enfin, quelle idée géniale d’avoir non pas uniquement assimilé allégoriquement la météorite à la crise écologique, mais à la pandémie de coronavirus ! Par ce biais, Adam McKay va au-delà de la critique de l’impérialisme américain, de la superficialité de notre société et des manipulations que les médias de masse rendent possibles : il illustre la façon dont le discours universitaire est mis à mal par les réactionnaires, influenceurs et autres pseudo-scientifiques, il démontre comment certaines personnes continuent de se cacher derrière des réflexions abracadabrantes pour nier, par peur ou ignorance, ce qui ne leur saute pas aux yeux. En taclant ces derniers, Don’t Look Up réhabilite symboliquement, de manière tout à fait louable, la recherche scientifique, régulièrement décrédibilisée depuis maintenant près de deux ans.
Il est vrai que l’on peut faire quelques reproches au film d’Adam McKay, notamment son caractère parfois un peu poussif. Le ton outrancier de Don’t Look Up est volontaire, bien entendu, mais quelques exagérations (à commencer par la désinvolture extrême de certains protagonistes) nuisent regrettablement à la cohérence de son univers et à l’implication du spectateur. Secondement, on peut déplorer une représentation un peu trop frontale et explicite de la météorite, alors que la filmer en restant à hauteur d’homme – autrement dit, en réduisant le spectacularisme visuel – aurait sans doute décuplé la sensation (très intéressante) qui est celle de faire face à un danger quasi imperceptible.
Il n’en reste pas moins que si l’on cesse de pinailler, Dont Look Up est une excellente surprise de la fin de l’année, et probablement l’un des meilleurs films de 2021. Tantôt farce bouffonne, tantôt tragédie grecque, souvent les deux en même temps (à l’image d’un Docteur Folamour réactualisé au 21ème siècle), il confirme d’une part le talent de satiriste du réalisateur Adam McKay, d’autre part que la plateforme de distribution Netflix, au-delà de quelques bides intersidéraux, se révèle toujours capable de soutenir financièrement de véritables claques cosmiques. Don’t Look Up rejoint ainsi Roma et The Devil All The Time au palmarès des meilleures productions filmiques Netflix de ces dernières années.
Michael Wagnières (11/01/2022)
Don’t Look Up
États-Unis, 2021, 145 min.
Réalisation et scénario : Adam McKay
Interprétation : Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett…
Images : Linus Sandgren
Montage : Hank Corwin
Musique : Nicholas Britell
Décors : Clayton Hartley
Costumes : Susan Matheson
Date de sortie (salles) : 08.12.2021
Date de sortie (Netflix) : 24.12.2021