Texas, 1979. Mike Milo est éleveur de chevaux. Son ancien ami et patron, Howard Polk, lui demande d’aller chercher son fils Rafael au Mexique, qui y vit avec sa mère tyrannique. Mike accepte de l’aider et va tenter de ramener Rafael et son coq de compagnie, Macho, aux États-Unis.
La simplicité de la trame scénaristique de Cry Macho rappelle instantanément la filmographie de Clint Eastwood. À 91 ans, celui-ci n’aura cessé de conter des histoires simples, mais profondément complexes sur le plan humain : si le trajet que doivent parcourir les personnages de Cry Macho se révèle assez classique, il se cache derrière (la plupart de) ces êtres fictionnels une intériorité assez insoupçonnable au premier abord. Cette profondeur psychologique est renforcée par le fait que Clint Eastwood parvient – chose particulièrement rare dans le cinéma contemporain – à ne jamais en dire trop, à laisser une conséquente part d’interprétation au spectateur. L’absence de voix off et de flashback favorisent tous deux cette agréable sobriété narrative et esthétique.
Au-delà de l’écriture de la plupart des personnages et des qualités indéniables de la réalisation (Cry Macho illustre comment « austérité » et « beauté » ne sont pas forcément antithétiques au cinéma), les valeurs humaines que véhiculent le dernier long-métrage de Clint Eastwood sont des plus bienvenues, surtout lorsque l’on observe des productions récentes comme Rambo V : Last Blood qui, à partir d’un scénario extrêmement proche de celui de Cry Macho, délivre une vision notablement xénophobe des Mexicains. Clint Eastwood ne cache pas la façon dont le gouvernement de ce pays peut être corrompu (ni la manière dont l’argent est à la base des disfonctionnements dans les rapports humains), mais il montre parallèlement à quel point la population mexicaine – et même certains représentants de l’ordre – ne s’y soumet pas et/ou tente de vivre indépendamment de ces problèmes politiques et économiques.
Cry Macho apparaît donc, globalement, comme un bon film. C’est essentiellement dans une perspective auteuriste que naît le réel problème de ce long-métrage : concrètement, qu’apporte Cry Macho à la filmographie exceptionnelle de Clint Eastwood ? En toute honnêteté, et aussi douloureusement que cela soit de l’admettre, à peu près rien, si ce n’est rien du tout.
Si c’est au moins à partir de Sur la route de Madison, chef d’œuvre absolu du film romantique, que Clint Eastwood a voulu montrer à son public une facette de lui bien plus sensible qu’à l’accoutumée, loin du mâle alpha qu’il incarnait en tant que policier (L’inspecteur Harry) ou cow-boy (la Trilogie du dollar), cette tendance atteint assurément un état paroxysmique dans Million Dollar Baby, puis dans Gran Torino. La fin de cet incroyable film illustre, à elle seule, comment la logique d’auteur de Clint Eastwood a atteint son terminus. Conclure avec Gran Torino aurait sans doute été la plus belle fin imaginable pour la filmographie du réalisateur et acteur californien, tant les thématiques de la violence, de la vieillesse, de la mort et de la passation sont omniprésentes et sont vectrices de puissantes émotions pour le spectateur. Gran Torino aurait dû être son film-testament.
On est alors en droit de se demander si les films postérieurs à ce dernier, qu’ils aient été joués et/ou seulement réalisés par Clint Eastwood, ont ajouté quelque chose à son œuvre ? Peut-être que c’est le cas de deux d’entre eux. On pense ici à American Sniper, le biopic du tireur d’élite Chris Kyle, qui construit un discours passionnant sur la Guerre d’Irak, notamment en raison de son ambivalence ; ainsi qu’à La mule, dans laquelle Clint Eastwood se remet en scène, dans une logique d’exacerbation du corps vieillissant encore plus radicale que dans Gran Torino, mais dont l’impact émotionnel est malheureusement moindre.
Cry Macho, pour sa part, n’apporte rien. Le corps vieillissant de la star est bel et bien présent, mais, loin d’être thématisé, sa présence amène le film à produire un discours complètement contradictoire : le personnage que campe Clint Eastwood se bat, s’engage dans des courses-poursuites et demeure un objet de désir auprès de la gent féminine, comme si son interprète refusait d’admettre l’inexorable poids du temps. De plus, si le réalisateur faisait preuve d’une certaine autodérision dans ses dernières productions, cette tendance a totalement disparu dans Cry Macho : Clint Eastwood y est certes drôle, même plutôt touchant, mais il ne s’amuse plus de la figure qu’il incarne. Il semble chercher d’une part à redonner un ultime souffle à sa légende, d’autre part à réaffirmer sa masculinité (dans une logique toutefois – heureusement – plus sensible que viriliste).
Peu d’émotions se dégagent, en outre, du dernier film de Clint Eastwood. Si Cry Macho dessine le portrait de personnages très humains en eux-mêmes et dans leurs interactions (à l’exception notable de la mère de Rafael et de son sous-fifre, dont l’écriture et le jeu d’acteur virent au ridicule), il lui arrive de tomber dans des facilités situationnelles assez inimaginables, en témoignent le pseudo climax du film (d’une gratuité inqualifiable) et l’alignement de poncifs sur la paternité (symbolique), un thème pourtant ultra récurrent et traité assez intelligemment dans le cinéma contemporain (et dans d’autres médias audiovisuels comme le jeu vidéo).
En somme, Cry Macho est un film qui illustre parfaitement un fâcheux constat : celui que Clint Eastwood n’a plus rien à nous dire, de notre monde comme de lui-même, si ce n’est pour radoter. C’est un film de vieil homme qui, malgré ses indéniables qualités narratives et esthétiques, se rapproche plus de l’ego trip nostalgique que de la fable sociale universelle (bien que cette dimension ne soit pas inexistante). On espère sincèrement que la prochaine réalisation de Clint Eastwood rehaussera le niveau ; il serait infiniment triste que l’un des plus grands acteurs et metteurs en scène de l’histoire du cinéma tire sa révérence avec un film si décevant.
Michael Wagnières (26/11/2021)
Cry Macho
Réalisation : Clint Eastwood
Scénario : Nick Schenk & N. Richard Nash, d’après le roman de N. Richard Nash
Interprétation : Clint Eastwood, Dwight Yoakam, Fernanda Urrejola
Direction artistique : Gregory G. Sandoval
Décors : Ronald R. Reiss
Photographie : Ben Davis
Montage : Joel Cox & David Cox
Musique : Mark Mancina
Sortie le 21 octobre 2021