Les chiens ne font pas des chats, mais des panthères…
Suite à la projection presse de the Shape of Water, voilà que j’enchaîne sur le dernier Marvel en date : Black Panther. Pour tout dire, je ne savais pas vraiment quoi attendre de ce film, si ce n’est que les bandes annonces m’avaient mis l’eau à la bouche en proposant quelque chose d’assez particulier, surtout visuellement. En ce qui concerne le personnage lui-même, je dois admettre qu’il m’est assez étranger. Je n’en n’avais jamais entendu parler avant Captain America : Civil War et le film m’avait présenté un Chadwick Boseman certes charismatique mais somme-toute pas assez développé pour être véritablement intéressant. D’autre part, Black Panther est un film qui a le mérite de présenter un casting quasi-entièrement afro-américain, ce qui est plutôt une rareté dans la production d’un studio se caractérisant par son univers peuplé quasi uniquement de héros masculins hétérosexuels blancs. Evidemment ce point n’a pas manqué de déchaîner les passions sur les réseaux sociaux, soulevant ainsi une marée de tweets quasi-racistes empreints d’une bêtise aberrante et faisant, malgré-eux, un maximum de pub au film par la même occasion. C’est donc avec de la curiosité mélangée à de l’inquiétude que je suis resté ancré dans mon siège de cinéma. Le dernier opus du Marvel Cinematic Universe va-t-il réussir à nous proposer de l’originalité dans un univers cinématographique de plus en plus saturé de ses propres codes ? Va-t-il réussir à développer son personnage principal de façon satisfaisante ? Et surtout, va-t-il réussir à exploiter sa prise de position manifeste sur les conflits ethniques qui ont lieu aux USA à l’époque contemporaine sans tomber dans la caricature ? C’est ce que nous allons voir !
Passons donc au film lui-même : Black Panther raconte la suite des aventures de T’Challa, prince d’un pays d’Afrique appelé « Wakanda », alors qu’il s’apprête à devenir roi suite à l’assassinat de son père, le roi T’Chaka, aux nations unies lors des évènements de Captain America : Civil War. Bien que les pays du monde entier pensent que le Wakanda est un pays du tiers-monde extrêmement pauvre, un joli générique d’introduction animé nous explique qu’en réalité, le pays est construit sur une météorite, tombée il y a des millions d’années, constituée de Vibranium, un métal quasi indestructible aux propriétés étonnantes. De ce fait, les wakandais ont pris depuis des siècles une avance technologique impressionnante par rapport au reste du monde, qui, totalement ignorant de l’état de richesse extrême du pays a l’air d’être à l’âge de pierre à côté d’eux. Pour préserver cette précieuse ressource, les wakandais se cachent du monde, n’exportent rien (ceci ne rappelle bien sûr aucune politique d’un pays réel contemporain) et surtout ont un super-gardien pour les défendre contre tout, Black Panther. Lors de son couronnement, après un combat rituel contre des membres des 4 tribus locales, chaque roi du Wakanda ingère une plante magique qui le fait entrer en contact avec ses ancêtres et lui donne, par la même occasion, une force et des réflexes surhumains. Ainsi nouvellement couronné, T’Challa est informé que Ulysse Klaue, incarné par un toujours aussi taré Andy Serkis (le mercenaire qui avait volé du Vibranium pour le revendre à papy Ultron), a été aperçu en Corée du Sud. Vu que le bonhomme est toujours en cavale depuis des lustres, alors que pourtant les Avengers lui avaient mis la main dessus, autant vous dire que le peuple wakandais met un peu la pression au nouveau roi pour le ramener en prison. C’est ainsi que Black Panther part, avec l’aide de ses trois acolytes féminines (sur lesquelles je reviendrai plus bas) pour la Corée du Sud sur fond de tambours tribaux. Par une suite de péripéties, T’Challa sera par la suite confronté à son cousin américain perdu de vue pendant des années et formé par la CIA avant de monter sa petite organisation terroriste (sorte d’Oussama Ben Laden moderne), Killmonger, qui débarquera au Wakanda sur fond de Kendrick Lamar (évidemment il est américain !) pour clamer le trône à sa place.
Ce qui m’a frappé dans ce film, dont l’argument de vente principal était sa « pseudo grande différence » avec les autres Marvel, c’est la façon dont son scénario est au final d’un classicisme absolu. Nous sommes ici dans une histoire conventionnelle de « frères ennemis » telle qu’il en existe depuis longtemps (comme la thébaïde de Jean Racine et autres pièces de théâtre) et qui passe par tout le schéma narratif conventionnel des films Marvel (héros au sommet de sa gloire, amoindri au milieu du film et qui réaffirme sa supériorité à la fin). Cependant, ce qui permet de donner de l’aplomb à cet énième produit de consommation pur« made in Disney », ce sont ses personnages et je ne parle pas ni de T’Challa ni de Killmonger, somme-toute assez stéréotypés, mais bien des trois personnages féminins principaux : Nakia (l’espionne incarnée par Lupita Nyong’o), Okoye (la cheffe des gardes royaux incarnée par Danai Gurira) et Shuri (la petite génie incarnée par Letitia Wright). A part la première des trois, je n’avais jamais vu les autres à l’écran et j’ai été impressionné par la force avec laquelle elles donnent vie à leurs personnages, tous bien écris et définitivement convaincants.
Enfin, pour en finir avec les points formels, on constate un vrai travail sur les costumes, fortement inspirés des habits traditionnels africains, très complexes, colorés et définitivement raccord avec la culture dans laquelle ils s’inscrivent. On regrettera cependant les effets spéciaux assez inégaux, point particulièrement étrange sur une production Marvel, magnifiques par moments (partout où il s’agit d’animer du Vibranium et durant les scènes de combat) et dignes de La Menace Fantôme lorsqu’il s’agit de faire bouger des acteurs sur des paysages dégoulinants d’artificialité…
Passons maintenant aux points les plus intéressants de ce film et qui à mon avis peuvent justifier par eux même le visionnage : les messages qu’il véhicule. Pour cela, petite remise en contexte : On remarque dès les premières scènes du film que le Wakanda est un mélange parfait entre modernité technologique extrême et tradition ancestrale, à l’image de l’opposition radicale entre des lieux tels que le laboratoire de Shuri dans les mines de Vibranium et la vallée reculée des Jabari, la tribu de « barbares » des montagnes. Cependant, ces deux extrêmes cohabitent parfaitement dans des endroits tels que la capitale, laissant à la fois place à des énormes gratte-ciels et à des quartiers marchands traditionnels. Cependant cela se fait au prix d’un point essentiel : le Wakanda est un secret absolu pour le monde extérieur. Sa politique d’immigration est extrêmement stricte, quasiment personne n’est autorisé à y pénétrer, et surtout pas des blancs. De plus, malgré leur supériorité technologique et militaire sur tout le reste de la planète, les Wakandais n’interviennent jamais en dehors de leurs frontières, mis à part en cas d’extrême nécessité. Cependant, lors de l’arrivée de Killmonger, qui prêche ce qu’un historien du XXème siècle appellerait un « nationalisme noir à tendances violentes », le Wakanda est divisé entre partisans de ce régime totalitaire et vifs opposants. Cela me mène à mon postulat principal : Ce film effectue une transposition des problèmes contemporains des USA, concernant des points tels que l’immigration, le racisme, etc, dans un pays africain imaginaire. Il dénonce par ce fait à la fois les violences des organisation « nationalistes noires » (certes opposées à un pouvoir oppressant mais trop extrêmes dans leur façon de faire), auxquelles le titre du film fait inévitablement penser, tout en dressant une critique de la politique d’immigration du gouvernement américain actuel, le soutien d’idées révolues, les fondements d’une société patriarcale construite sur des mensonges et le néo-colonialisme latent de certaines organisations gouvernementales. On remarque donc que c’est là que se situe la principale qualité de ce film : dans son message d’ouverture à l’extérieur, d’égalité entre les peuples et d’acceptation des différences, malgré des luttes intestines qui tendent à diviser.
Sorte de Moonlight commercial et définitivement très peu pourvu d’originalité, Black Panther saura plaire à qui est en quête d’un bon divertissement pourvu d’un message contemporain extrêmement positif, mais saura aussi inévitablement décevoir les habitués au genre en quête de nouveauté, pour lesquels Thor : Ragnarok était définitivement bien meilleur.
Gabriel Ratano (17/02/2018)