Sans titre – de la troupe Chut !

Origine de la création

L’année passée, durant le festival de la Cité, j’assiste à un concert du groupe « La Colonie de Vacances » : il s’agit en fait d’une « performance quadriphonique » où 4 groupes différents de musiciens sont placés sur 4 scènes, disposées chacune dans un coin de la salle. Les sons et les fréquences sont diffusés depuis quatre émetteurs combinés dans un cercle de 360 degrés, rendant l’immersion du spectateur/auditeur encore plus profonde. Marquée par cette expérience musicale, l’idée que ce genre de dispositif peut s’appliquer au théâtre émerge… pourquoi ne pas mettre en place, dans un grand espace, plusieurs scènes où différentes pièces théâtrales se répondent et s’alternent, chacune avec un univers particulier tout en ayant un lien avec la pièce dans l’ensemble ?

En septembre 2016, lors de ma 3ème année de Bachelor en philosophie et anglais, je suis le cours intitulé « Philosophie générale et systématique : la pensée théâtrale » donné par Michael Groneberg. Cet enseignement appréhende le théâtre sous un prisme philosophique, en abordant certains auteurs, plus particulièrement le penseur et metteur en scène Denis Guénoun, que j’ai eu la chance de rencontrer lors du colloque organisé par Michael Groneberg, Le Penser de la scène.

Fascinée par l’expérience sensorielle du concert de la Colonie de Vacances et animée par ces nombreuses questions autour du théâtre, de ses limites et de sa place, soulevées lors du séminaire et du colloque, je commence à imaginer le concept d’une « exposition théâtrale »

En 2015, nous créons, des amis et moi, une troupe de théâtre amateur que l’on nomme Chut!. Notre troupe a comme but principal de permettre aux jeunes – qui ont parfois une idée arrêtée du théâtre – d’apprécier et découvrir cet art scénique sous de nouvelles formes et sous une approche plus alternative. Les deux principaux objectifs sont donc de pouvoir permettre à un maximum de personnes motivées – ayant déjà tenté l’expérience théâtrale ou pas – de participer à un projet théâtral. Notre premier spectacle se déroule en 2016 dans le cadre du Festival Fécule : il s’agit d’une pièce de Jean-François Sivadier, Italienne scene, mise en abîme qui expose les aléas du processus de création d’une pièce de théâtre.

Le colloque Le Penser de la scène ainsi que le séminaire de Michael Groneberg ont suscité en moi beaucoup de réflexions. En effet, lors de la rencontre avec Denis Guénoun, nous avons longuement abordé la question du théâtre amateur face au théâtre professionnel. C’est effectivement un art dans lequel les deux ne peuvent que très difficilement se mélanger. De cela, il faut donc en retirer les aspects positifs. Les amateurs ont-ils plus ou moins de liberté face à cet art relativement strict ? C’est là qu’émerge l’idée d’accentuer le côté amateur, ou en tout cas détendu et alternatif, en donnant la possibilité aux gens (autant les comédiens que les spectateurs) de boire des bières ou de boire un godet de vin durant le spectacle et, aussi, d’accepter les quelques minutes de retard de certains. Le théâtre professionnel est souvent, selon moi, plus grandiose, plus puissant, tandis que le théâtre amateur a la force du touchant et du proche de tout le monde. Le théâtre amateur peut surprendre en bien quand le théâtre professionnel risque plutôt l’inverse.

Au-delà de cela, s’il y a une chose que j’aime particulièrement dans l’art théâtral, poussé par sa coprésence, son instantanéité, son caractère éphémère, c’est le fait de sortir d’une pièce animée de plusieurs questions, bousculée de réflexions. Est-ce dans cet éveil mental que réside l’activité du spectateur ? Nous savons combien il est difficile de faire participer un public, il faut généralement aller chercher un spectateur à sa place pour le faire réagir. Le but du concept de cette pièce est donc d’éveiller ces quelques réflexions et celles que chacun se crée entre lui et lui-même. Debout et en bougeant le spectateur est-il actif ? Plus que lorsqu’il est assis sur une tribune ? Prendra-t-il la décision de lui-même de s’asseoir par terre, lorsqu’il en ressent l’envie ?

Pour que les scènes soient visibles par un public debout, il faut alors les surélever. L’idée est aussi d’accentuer – autour de certaines scènes – les limites entre public et scène. Si la séparation n’est pas visible, le spectateur a-t-il l’impression d’être sur scène ? Voit-il encore une scène ? Un(e) comédien(ne) ? Ce sont une partie des réflexions que le concept de base proposait, mais c’est ensuite dans le contenu que peuvent apparaître d’autres petites piqures de doutes. Tous les éléments de métathéâtre dans les textes, un rire inattendu, la prise de parole d’un « membre du public » et finalement les comédiens qui applaudissent les spectateurs, sont autant de petits détails qui dérangent le spectateur et qui, par là, le font se questionner sur la part d’inattendu, de risques auxquelles les spectacles peuvent se confronter. Par ce concept, on peut alors imaginer des petites scènes réparties dans un large espace, partagées par des personnes de différents univers. Il serait possible de créer une unité d’univers variés : un projet hétéroclite, mais cohérent qui permettrait à un maximum de nos amis d’y prendre du plaisir.

Je pense qu’il est important, pour des troupes amateures comme la nôtre, de mettre en avant une forme de théâtre relativement contemporaine, ou du moins mêlant théâtre traditionnel et actuel. Effectivement, je me rends compte que la majorité des gens qui ne vont au théâtre que rarement y vont pour voir des pièces classiques et qui leur donnent une idée du théâtre arrêtée. C’est pourtant un art extrêmement vaste et varié et nous pouvons saisir l’occasion de présenter à nos amis d’autres aspects de son champ de vision qui, d’après moi, ne cesse de grandir.

Comédiens – participants au projet

Johannie Muralti-Fort / Auriane Page Camille Poudret – étudiante à l’Unil / Adèle Ottiger – étudiante à l’Unil / Marine Béguin – étudiante à l’Uni / Valentin Gross – étudiant à l’Unil / Sidney Vega / David Guggenheim / Stéphanie Vernet – étudiante à l’Unil / Camille Huygen – étudiante à l’Unil / Jade Fierry Faillon / Hélève Widmann / Marc-Eric Wirth / Anaïs Chevalley / Julia Widmann

Retrouve la page Facebook de la troupe Chut! et leur site internet !

Descriptif du projet – Sans titre

Le 22 décembre, dernier jour de cours, un ami nous propose à Adèle Ottiger (participant également au projet théâtral et au cours de Michael Groneberg) et à moi d’aller voir la projection du film Fantastic Mr. Fox, un film de Wes Anderson, à l’Espace St-Martin. Je ne connais pas encore ce lieu mais j’en ai entendu parler. Il s’agit d’un ancien garage aménagé en lieu alternatif où chacun peut proposer des activités : concerts, lectures, performances, expositions, vernissages, projections de films, cours (allant du cours de danse au cours de français)… Arrivées dans ce lieu grand et spacieux, on se dit tout de suite avec Adèle que ce serait le lieu idéal pour notre projet théâtral. Quelques semaines plus tard, je parviens à entrer en contact avec un responsable et réserve le lieu pour deux semaines de résidence. C’est le rêve pour nous.

Et le début de l’aventure.

 

Pour ce spectacle, nous avons rassemblé plusieurs textes d’auteurs, connus ou non, réinterprétés ou retravaillés afin d’aboutir à un dispositif d’exposition théâtrale qui cherche à questionner le théâtre et ses limites ainsi que la place qu’il occupe au sein de notre quotidien. La démarche permet de diviser la troupe (15 personnes participant au projet) en petites scènes (jouées seul ou à plusieurs) : chaque groupe peut ainsi explorer les textes et les thématiques qui les fascine de façon indépendante, tout en ayant la possibilité de demander conseil à la troupe ou à des personnes externes. Le projet devient alors très éclectique et varié, abordant autant des textes personnels, d’auteurs connus ou non, classiques ou contemporains.

Nous cherchons à renverser le schéma classique du dispositif théâtral dans lequel le spectateur est assis ; en effet, avec Sans Titre, le statut spectateur passif se trouve bousculé puisqu’il se promène au sein de l’exposition théâtrale à l’aide d’une guide qui l’oriente d’ « oeuvre en oeuvre ». Nous avons pu présenter notre pièce en « off » du Festival Fécule 2017, le 13 mai 2017 à l’Espace St-Martin (elle avait été annoncée sous le nom « Où est le théâtre? »). Nous l’avons jouée à 11h, 15h, et 19h, en commençant avec 40 personnes pour finalement monter jusqu’à environ 70 personnes à la dernière représentation. Tout le monde semblait joyeux en sortant et nous avons eu la chance d’avoir de nombreux retours positifs.

Camille Poudret, pour la  troupe Chut!

 

https://www.facebook.com/latroupechut/videos/1654107887952131/

Vidéo de Sarah Imsand