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FANS – Archipel 47 (2025)

Regarder, fantasmer, consommer, transformer : autant de gestes qui, comme la couverture de ce 47e numéro de la revue Archipel, poussent à la réflexion. Fan, désignant ici une modalité tant relationnelle que rédactionnelle, se trouvera donc déployé dans ses dimensions culturelles, sociales et parasociales – n’en déplaise aux carottes et aux ventilateurs.

Mais qu’est-ce donc qu’un·e fan ?  Aux fondations des fan studies, Henry Jenkins observe que le terme vient caractériser dans les champs artistiques et médiatiques « une forme de perturbation dans le phénomène de réception, un rapport problématique à un objet culturel », qui ferait alors « apparaître en creux un mode d’appréciation des œuvres plus valorisé »[ii]. Assurément, le contexte ultramédiatique contemporain a des effets sur les créations, leur production et leur réception. Au mitan d’un XXe siècle marqué par une démocratisation des inventions cinématographiques, télévisuelles et radiophoniques, Donald Horton et Richard Wohl signalent déjà que ces technologies contribuent à créer une impression nouvelle de proximité entre les personnages de la fiction et les spectateur·rice·s et auditeur·rice·s qui la consomment[iii]. L’image des « performers », des « characters », entre dans la sphère intime de l’audimat et génère un lien illusoire, fictif (« seeming »), distingué d’un lien substantiel par la médiation technologique. Les deux sociologues lui donnent le nom de « relation parasociale » ; passée dans le langage courant, l’expression vient désigner l’attachement généralement non réciproque, ou à la réciprocité fantasmée, qu’un individu éprouve à l’égard d’une figure médiatique, réelle ou fictionnelle[iv].

Si la déclaration d’Horton et Wohl peut paraître datée, il n’en est rien : elle est d’autant plus actuelle depuis l’invention du World Wide Web par Tim Berners-Lee, popularisée en 1993, du téléphone connecté, élaboré durant la même décennie et commercialisé en masse dès 2007, et de leurs épiphénomènes, les réseaux sociaux – l’ouverture au grand public de la plateforme Facebook en 2006 marquant incontestablement un moment charnière vers de nouveaux modes de relation. Ces technologies médiatiques de la cyberculture propulsent les objets d’art vers d’autres sphères[v] et intensifient la connivence des interlocuteur·rice·s connecté·e·s avec les célébrités qu’iels suivent. Parfois cette relation devient réciproque, floutant les frontières entre personnalité publique et utilisateur·rice·s lambda. Les réseaux inversent même certaines dynamiques : ce sont, comme le souligne Elsa Godard[vi], les « élites » qui reprennent à leur compte les agissements massifiés comme le « selfie », le « reel », la vidéo live, etc., car ceux-ci portent en eux la posture de star, de la spectacularisation, que mettent en scène les individus. Ces derniers se « starifient » dans une « quête insatiable […] de reconnaissance »[vii]. Renvoyant à la pulsion scopique caractéristique de la société du spectacle[viii], ces pratiques consistent à exposer corps et visage pour crever l’écran et combler ce que la chercheuse qualifie de « vies vides » dans son essai éponyme.

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Couverture : Nathan Meyer ©

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