Catégories
Événement

Michel Bourban – La justice climatique

Le mercredi soir 29 octobre 2014 a eu lieu l’une des plus stimulantes rencontres que l’ORPHI ait eu le plaisir d’organiser jusqu’à maintenant. En effet: M. Michel Bourban, assistant en philosophie moderne et contemporaine à l’UNIL, est venu (nous) parler du sujet de sa thèse: le changement climatique et les enjeux éthiques qui y sont liés. Sujet hautement actuel et polémique!

M. Bourban a tout d’abord parlé des éléments fondamentaux des sciences climatiques: les éléments consensuels qui y sont liés. Trois faits sont prouvés quant au changement climatique:

– Les températures augmentent, et toujours plus rapidement.
– Les émissions anthropiques (causées par l’Homme) de gaz à effets de serre (CO2 notamment) sont la cause principale de ce réchauffement.
– Les conséquences du réchauffement sont majoritairement nuisibles pour l’Homme et son environnement, plus particulièrement dans les pays les plus pauvres.

 Conséquences: premièrement, nous sommes en train de créer les pires conditions possibles de tous les temps pour la (sur)vie de nombreuses espèces sur Terre, et l’Homme y figure en bonne place. Les conséquences du changement climatique (réchauffement global entraînant des catastrophes naturelles en série, montée du niveau des océans, modifications biotopiques de nombreux milieux, etc.) affectent non seulement les animaux, mais aussi, et surtout, les populations humaines les plus défavorisées. En Suisse, nous ne sommes épargnés que provisoirement.

La deuxième conséquence est que nous sommes en train de quitter l’holocène (période de l’Histoire où le réchauffement était uniquement dû à des causes naturelles) pour entrer dans l’anthropocène, période où les hommes deviennent la principale cause de la transformation rapide des systèmes naturels de la planète.

M. Bourban a ensuite abordé le modèle de la tragédie climatique et intergénérationnelle, développée par Stephen Gardiner à partir d’un article de Garett Hardin sur la tragédie des communs. Que dit le modèle? Premièrement, que bien que tous les pays reconnaissent au niveau international qu’une réduction globale des émissions de gaz à effet de serre serait la bienvenue, aucun, individuellement, ne s’engage durablement à agir dans ce sens. Pourquoi? Parce que cela va à l’encontre des intérêts de l’immense majorité des pays « développés », dont les économies sont basées majoiritairement sur l’utilisation et la rentabilisation des énergies fossiles. Changer de paradigme énergétique coûterait cher; trop cher… Même – voire surtout – pour des Etats commes les USA ou la Chine, dont la quasi-totalité de l’économie repose sur l’exploitation de ces énergies.

Deuxièmement, dit le modèle, (presque) toutes les générations préfèrent le résultat produit par une restriction des émissions de gaz à effet de serre par rapport au résultat produit par la surexploitation de l’atmosphère. Mais individuellement, aucune n’est capable d’entreprendre suffisamment d’efforts pour faire diminuer durablement ses émissions nocives. De quoi devenir dingue!

A la lecture de ces éléments, il semble y avoir (comme) un problème dans le système-monde… Et dans notre structure de pensée. Pourquoi sommes-nous incapables de changer? De modifier notre rapport au monde, surtout – malgré l’imminence du danger? Serait-il déjà trop tard?

A ce stade-là de l’exposé, de nombreuses questions avaient déjà été posées. La salle s’animait, s’échauffait.

Entre-temps, les éthiques climatiques du devoir et de la vertu avaient été présentées. Ces deux théories proposent, grosso modo, d’inciter les gens à développer une conscience écologique (accrue) par une mobilisation morale aiguisée quant aux conséquences visibles et connues du changement climatique. Le problème? Il n’est pas certain que faire reposer une motivation écologique citoyenne sur une base morale soit très efficace…

Quel serait alors le dernier recours? M. Bourban a exposé l’éthique climatique desincitations, reposant sur des moyens coercitifs plus « durs » que les deux précédentes solutions, puisqu’ agissant directement sur les intérêts personnels des consommateurs. Le marché du carbone et la taxe carbone, qui permettent tout deux d’agir sur les prix des énergies fossiles et par là, d’atteindre LE point sensible pour tous: le porte-monnaire, en sont deux mécanismes spécifiques. Quand la carotte ne fonctionne pas, il faut passer au bâton…

L’auditoire était alors déjà quasiment en transe. Les questions fusaient et M. Bourban avait du mal à suivre. Mais s’est réjoui: tout espoir n’est pas perdu, il demeure (encore) des gens conscients et réveillés, a-t-il affirmé. Manière, probablement, de nous remercier, tandis que de notre côté, notre gratitude s’exprimait au travers de l’intérêt manifesté. Dans tous les cas, la discussion a été on ne peut plus stimulante et c’est sur des sourires et par des applaudissements que s’est terminée cette chouette soirée!

« Là où croit le péril, croît aussi ce qui sauve. » F. Hölderlin, cité par Edgar Morin dans La Voie.

Merci à Michel Bourban pour la mise à disposition d’un hand-out, dont de nombreux éléments figurant dans l’article sont issus. 

 M. Michel Bourban, assistant en philosophie moderne et contemporaine. UNIL-2014
M. Michel Bourban, assistant en philosophie moderne et contemporaine. UNIL 2014. 

Romain Fardel