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Philip Mills – Poésie et philosophie

Mercredi 5 novembre 2014, l’ORPHI a eu le plaisir et la chance de recevoir M. Philip Mills, doctorant en philosophie à Royal Holloway, University of London, pour une conférence sur le rapport entre philosophie et poésie.

M. Mills a débuté sa présentation en rappelant que c’est chez Platon que philosophie et poésie se trouvent pour la première fois séparées. Le philosophe bannit de sa cité les chanteurs-poètes, jusqu’alors porteurs eux du discours philosophique.

On a en effet tendance à l’oublier, mais il existe une pensée avant la philosophie. Une pensée liée à l’art et à la musique, dont les Muses, au service de Dionysos, dieu de la musique (entre autres), sont les inspiratrices; pensée exprimée par les chanteurs-poètes arachaïques, eux-mêmes simples médiums des forces divines transmises par les Muses.

L’enjeu principal du propos a alors été dévoilé: comment formuler la synthèse entre philosophie et poésie? Questionnement méta-philosophique: où doivent se placer philosophie, art et poésie les uns par rapport aux autres?

M. Mills a rappelé qu’au Moyen-Âge et à la Renaissance, cette question ne figurait pas au premier plan; ce n’est qu’avec les romantiques allemands du 18e et 19e siècles (Schiller, Schlegel, Novalis, etc.) que la question est reprise. On entend alors à nouveau la « poésie » comme « poïesis », au sens grec du terme, c’est-à-dire « production ».

La question de la poésie comme poïesis sera reprise en fin de siècle par Nietzsche dans son Zarathoustra puis par Heidegger dans Etre et langage. Derrida s’en occupera lui aussi, un siècle plus tard.

Dans les années 1910-20, sous l’influence du Tractatus de Wittgenstein, qui mène à ce que l’on nommera plus tard le « linguistic turn », il est question d’éradiquer la poésie de la réflexion sur le langage. Le « linguistic turn » centre ses investigations sur cet objet; la poésie est mise hors champ.

Il faut attendre Heidegger et ses deux notions-clé « Dichten » (« faire de la poésie« ) et « Denken » (« penser« ) pour assister au retour de la poésie dans la pensée. Dans un bref exposé, M. Mills a expliqué le lien ténu qu’entretiennent Dichten et Denken chez le disciple de Nietzsche: lien de proximité et de distance à la fois, de sorte que poésie et philosophie se côtoient systématiquement dans l’Histoire, parfois en fusionnant presque, d’autres fois en se distançant fortement l’une de l’autre.

C’est ensuite Henri Maldiney, philosophe français phénoménologue du début du 20e siècle, dont la pensée a été étudiée. Maldiney s’intéresse au rapport qu’entretiennent respectivement philosophe et poète à la langue. Il en arrive à la conclusion que l’objet commun de la philosophie et la poésie est le langage, que toutes deux traitent selon leurs propres méthodes. Si la poésie use de métaphores, la philosophie est elle créatrice deconcepts: deux outils au fond commun (il s’agit dans les deux cas d’exprimer quelque chose propre à la vie), mais de formes différentes. Disons, pour résumer, que si la métaphore ouvre sur des possibilités de vie, le concept, lui, tend plus à fixer une idée rationnelle quant à un phénomène vivant. Mais tous deux usent du même outil: la langue… D’où d’innombrables possibilités d’interpénétration et d’influence réciproque l’une sur l’autre.

Chez George Steiner aussi, dernier auteur passé en revue, poésie et philosophie interagissent et s’interpénètrent. Dans les deux domaines, il s’agit de travailler sur la langue pour dire quelque chose sur la vie. Poésie et pensée (philosophie) sont là si proches que Steiner parlera de « poésie de la pensée » dans le cas d’une certaine philosophie (par exemple chez Nietzsche, avec son Zarathoustra).

La présentation s’est close sur ce dernier élément. Quelques minutes plus tard, c’est une discussion – pour ne pas dire un débat – plus qu’animé(e) qui a secoué l’audience. Au point qu’on est en est venu d’abord à ne plus s’entendre, avant de s’entendre à nouveau. En fait jusqu’aux Gosses du Québec même, où la joyeuse troupe restante a fini la soirée.

Remarque: Les personnes intéressées par le texte ayant servi de soutien à Philip Mills pour sa présentation peuvent s’annoncer auprès de Romain.Fardel@unil.ch. 

Romain Fardel