Oui : un aveuglement avec les yeux grand ouverts (Critique)

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©Sister Distribution

A Tel-Aviv, Y., musicien, et sa femme Yasmin, danseuse, tentent de trouver un équilibre dans leur vie, suite de la naissance de leur premier enfant, né un 7 octobre. Entre deux fêtes houleuses, le couple se retrouve dans la tourmente d’une société israélienne malade et maléfique.

Écrire sur Oui n’est pas un exercice facile. Tout d’abord, dans sa forme cinématographique, il s’agit d’un film extrêmement dense, ne cessant d’expérimenter et tentant de se renouveler toutes les cinq minutes. Mais il est surtout difficile d’évoquer le dernier film de Nadav Lapid en raison du contexte dans lequel le film est ancré. Financé en partie par des fonds israéliens, Oui tente de faire un état des lieux d’un pays plongé dans un nationalisme aveuglant, dont la fierté ne sera pas rétablie tant que le peuple palestinien n’aura pas été exterminé. Le portrait dressé est glaçant : l’âme israélienne est pourrie jusque dans ses racines, dont la seule conviction est qu’il faut faire le mal pour provoquer le bien.

Séquencé en 3 actes, Oui suit le cheminement d’Y., à la recherche de son identité, au cœur de la société israélienne en plein acte génocidaire. Commençant sur les chapeaux de roue par une longue séquence de rave party où tout semble permis, et où les limites n’existent pas pour une élite nationaliste, composée majoritairement de hauts fonctionnaires du gouvernement et de l’armée, le film sombre lentement dans des travers et des questionnements plus profonds, guidés par les pérégrinations d’Y lors de la deuxième partie. Mais le dernier acte incarne l’éclat de génie du film, à travers une brillante idée de brouiller les frontières entre fiction et réalité, geste cinématographique puissant de Lapid. Y. ayant été mandaté pour écrire un hymne nationaliste, il se retrouve à écrire une chanson qui le dépasse, qui transperce toute rationalité morale et toute humanité. Mais l’hymne utilisé dans le film n’est pas fictionnel : Lapid utilise le même clip que celui de la propagande israélienne. Il nous l’indique dans un carton juste avant le générique, remettant en question l’aspect fictionnel du film, qui ne l’est finalement pas tant. La vengeance agit comme catalyseur de la peine qu’elle transforme en haine sans limite, dont la destruction et le massacre deviennent objets de contemplation. La soumission circulaire au sein de l’entre-soi élitiste génocidaire devient une banalité pour se conforter dans la justification de la cruauté, dont la victimisation outrancière semble être la racine.

Même si le film semble être globalement réussi concernant sa visée politique, quelques séquences obscènes remettent en question la pertinence du film. Lapid utilise Oui pour dérouler des artifices cinématographiques qui ne servent pas tout le temps son projet et qui semblent souvent servir d’amusement parodique et grossier pour le réalisateur. La séquence d’Y. perché sur une colline, observant Gaza sous les bombardements, provoque un malaise. « Si on voit Gaza, Gaza nous voit », phrase prononcée par l’amie d’Y., marque une rupture dans le film, tant au niveau du récit que de la position des spectateurices. Lapid cherche à alimenter son choc visuel et moral, mais pousse le curseur trop loin quand il tombe dans un voyeurisme à sens unique. Bien qu’il remette en question la société israélienne post-7 octobre, il n’ouvre pas vraiment de dialogue dépassant son autocentrisme colonial, et la dialectique du film tombe un peu trop dans le sensationnalisme plutôt que dans la révolte.

Oui est une voix qui s’élève courageusement contre le gouvernement fasciste israélien, et qui ose évoquer le génocide à Gaza, à l’intérieur d’un pays semblant être tombé dans l’aliénation. Si le film peut mettre mal à l’aise, il reste grandement pertinent sur le mal qui peut emporter tout un pays dans des proportions horrifiques.

Gil Dalebroux (07.10.2025)


Oui

  • Réalisation: Navad Lapid
  • Pays de production: France
  • Genre: Drame
  • Acteurices: Ariel Bronz, Efrat Dor, Naama Preis
  • Durée: 2h29