Hijo de Sicario (Sujo) ou la lutte pour l’émancipation des schémas générationnels négatifs (Critique)

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Dans ce film à la fois touchant et violent de réalité, nous suivons le jeune Sujo, le fils unique de Josué, tueur à gages pour un cartel de drogue mexicain situé dans le Michoacán. Après l’assassinat de son père, le garçon est recueilli par sa tante Nemesia qui le cache en vivant à l’écart de la ville jusqu’à son adolescence. La suite du récit se joue autour de l’influence du cartel qui le rattrape malgré lui et par son combat pour y échapper et mener une vie meilleure. 

Le film d’Astrid Rondero et Fernanda Valadez est séparé en 4 parties, chacune nommée en fonction du personnage ayant le plus d’influence ou d’impact sur la vie du héros. Le film mêle brutalité, complicité fraternelle et amour maternel sous une forme dérivée ; retraçant un parcours type que pourrait emprunter n’importe quel enfant victime des conditions de ces pays dans lesquels sévissent trafics et mafias en tous genres, le tout en y implantant un visage spécifique afin de sensibiliser les spectateurs à leurs conditions. La dédicace « aux orphelins de ce pays en flammes » qui vient clore le récit renforce la dimension réelle des enjeux du film, insistant sur le problème véritable révélé par la fiction.

Nous pouvons interpréter cette œuvre cinématographique comme étant un fort message d’espoir, qui tente de prouver que notre destin n’est pas déterminé par nos origines, notre passé ou par l’héritage laissé par nos parents. Cette espérance peut se trouver sous plusieurs formes dans le film, comme par l’usage des prénoms ou les différentes étapes traversées par le héros. Le thème du “prénom” est une sorte de leitmotiv tout au long du récit, dès sa scène d’ouverture, revenant par touches lors de chaque rencontre et une fois encore lors de la scène finale. Donnés par nos parents, parfois mêmes transmis sur plusieurs générations, les prénoms font partis de nous, nous définissent et peuvent même nous influencer. Hijo de Sicario joue notamment sur les définitions des noms de ses personnages pour agir sur leur destinée (par exemple les surnoms basés sur les numéros attribués aux membres du cartel). Le fait que “Sujo” n’ait pas de signification définie rend son parcours et avenir incertains ou libres à sa propre volonté. Cela nous amène sur les phases que le garçon rencontre durant son parcours :  la perte de son père à cause du cartel, une vie de paria ou de reclus pour sa propre survie, l’appel de ce même cartel et la tentation de la facilité et de l’appât du gain. Cette situation, tout comme son prénom, représentent l’héritage de son père, le schéma ou chemin de vie qu’il lui transmet. En choisissant de lutter contre cette fatalité et de se battre pour évoluer et avoir une vie “saine” et loin du mal, Sujo offre un espoir pour tous les enfants défavorisés ; en même temps que le film dévoile au monde spectatoriel que l‘avenir de ces enfants repose sur les préjugés qu’on leur attribue ou au soutien qu’on peut leur apporter en dépassant ces derniers, comme l’une des dernières scènes nous le suggère.

Par ailleurs, plusieurs autres aspects du film sont très travaillés, comme les cadrages offrant des interprétations claires sur la situation du personnage principal, l’enfermant par exemple dans un cadre défini, à l’écart des autres ; ou encore l’usage de la nature et du règne animal. La nature, bien au-delà du seul rôle de mise en contexte, a une grande importance pour l’ancrage et le développement du récit. En effet, les éléments tels que le feu, la brume, ou encore les différentes phases du jour et les variations de la lumière apportent une dimension magico-mystique soutenant les moments de partage de légendes, de rêves ou de souvenirs, ou illustrent l’intériorité des personnages. Hijo de Sicario ouvre ainsi une fenêtre sur un univers de traditions et de folklore mexicain. Le monde animal, quant à lui, sert de reflet des systèmes humains. Par inserts significatifs, les animaux et les connotations qui leurs sont associées viennent fournir des indications sur les personnages, leurs rôles ou leurs situations. Pour en donner un exemple, lorsque l’on comprend que le père de Sujo est en mauvaise passe, qu’il est piégé et qu’il va certainement mourir, une araignée bien au centre de sa toile apparait à l’écran ; nous pouvons donc le voir comme étant une métaphore de ce piège se refermant sur lui, qu’il est désormais coincé dans la toile de ses décisions et actions qui le mèneront à sa perte. Ce film est donc un bijou de sens cachés et d’interprétations variées ! 

En outre, Hijo de Sicario (Sujo) est une excellente découverte, ouvrant les yeux de ses spectateurs sur les dures réalités des pays sud-américains et offrant une vague de remise en question face aux idées préconçues que l’on pourrait avoir, ainsi que sur les cases que l’on impose aux autres sans même imaginer qu’une vision différente pourrait changer leurs vies. J’ai personnellement éprouvé beaucoup de plaisir au visionnage de ce film, qui nous tient attentifs à chaque détail tout au long de la séance, et dont l’audio en VO espagnol ne fait que renforcer le charme. Je le recommande vivement ! 

Finalement, après avoir remporté le Grand Prix du Jury pour le Cinéma du Monde lors du Festival du Film de Sundance (Utah, USA), l’œuvre des deux réalisatrices mexicaines est désormais en lice pour représenter le Mexique lors de la cérémonie des Oscars 2025. Une chose est sûre, nous en entendrons encore parler !

Callyanne Vessaz (27.11.2024)


Hijo de Sicario

  • Réalisation: Astrid Rondero et Fernanda Valadez
  • Pays de production: Mexique
  • Genre: Drama
  • Acteurices: Juan Jesús Varela, Yadira Pérez, Alexis Varela
  • Durée: 2h05