NIFFF, jour 8 : NIFFF me baby one more time

[09/07/2022]

C’était l’avant-dernier jour de la transhumance annuelle de l’irréel et du surréel (et peut être dernier jour de critique, la fête de fin de festival risquant de paralyser la chaîne de production au combien délicate de ces doux billets d’opinion cinéphile). Malgré la fatigue, la faim et la soif, nos deux nomades des diégèses éphémères sont partis inlassablement cueillir pour vous les plus belles fleures des jardins du NIFFF. Au programme : plan séquence à 3, Thelma la taille d’la croix, Yakuza ma tatane et y’a pas de lézard.

Nos Cérémonies de Simon Rieth (compétition internationale)

Premier long métrage du jeune réalisateur Simon Reith, Nos Cérémonies dépeint une relation fraternelle forte, scellée par le fantastique. Une longue introduction présente l’enfance de Tony et Noé. On y voit l’aîné mourir, puis être ramené à la vie par son petit frère à l’aide d’un baiser. Le décor est posé et ce mystérieux pouvoir accompagnera en secret les deux garçons.

Des années plus tard, à la sortie de l’adolescence, Tony et Noé reviennent sur les lieux de leur enfance. Régulièrement, lorsque son corps faiblit et commence à trembler, Tony a besoin de mourir. Noé le ramène sans cesse et la vie reprend son cours. Le lien profond des deux jeunes commence à s’étioler, alors qu’ils grandissent dans différentes directions. Leur retour sur la côte natal n’arrange rien ; ils y retrouvent Cassandre, amoureuse d’enfance de Tony, mais qui se rapproche de Noé adulte. Leur liaison pousse Tony dans un comportement colérique et autodestructeur, emportant naturellement son frère avec lui.

De longs plans-séquences, accompagnés de musique électronique et de plan panoramiques saturés, donnent à Nos Cérémonies la sensation d’une lente fresque ou d’une scène d’opéra, plongeant dans la réalité de cette jeunesse. Cherchant à mettre en scène le quotidien de ces adolescents et les liens qui les unissent, Simon Rieth recourt au fantastique afin de concentrer cette réalité sur l’amour fraternel. Un choix glissant et pourtant très bien exécuté de la part du réalisateur. Le fantastique se met à merveille aux services de la construction des personnages, avec aisance et sensibilité. Une plongée dans un songe estivale.

Alex


Bad City de Sonomura Kensuke (Asian Competition)

Ancien cascadeur et coordinateur de combat, Sonomura Kensuke livre avec son premier film, Bad City, un thriller haletant et musclé. Le NIFFF l’a présenté en première mondiale, le film n’étant pas encore diffusé au japon, son pays d’origine.

Quand un grand magnat industriel est relâché alors qu’il trempe dans des affaires de corruptions, une unité de police spéciale se forme pour tenter de l’arrêter pour de bon, malgré ses liens avec les yakuza et la mafia coréenne. Ce quatuor nouvellement formé se lance dans la bataille, mené par Torada (Ozawa Hotochi), ancien flic en réclusion pour soupçon de meurtre et au caractère bien trempé.

Cette histoire classique de lutte contre la mafia repose en grande partie sur l’ambiance de paranoïa crasseuse que le film parvient à installer. Les décors de rue sont industriels, aux textures de béton et de rouilles, rien n’est propre dans cette ville. Le film s’ouvre sur un massacre au couteau, plongeant immédiatement le spectateur dans la violence sordide de ce milieu.

Pour coller à cette impression d’étouffement, les combats ne sont pas esthétisés par la réalisation, mais pris comme des mêlées générales remplissant le cadre de coups. Les chorégraphies sont extrêmement techniques, impressionnantes, et mises en avant par un montage qui n’abuse pas du cut, laissant les acteurs et cascadeurs imprimer le film de leurs prouesses.

Un très bon polar musclé, qui résonnant avec l’actualité japonaise et le meurtre violent du Premier ministre, essaie de trouver une voie vers la justice dans un milieu ou la corruption et la violence semble parfois indépassables.

Baptiste


Leio de Chalit Krileadmongkol & Chiptol Ruanggun (Asian Competition)

Leio est un premier film à la réalisation pour Chalit Krileadmongkol, étant depuis longtemps spécialiste de VFX, avec l’aide de son comparse Chiptol Ruanggun. Ils livrent un mélange extrêmement plaisant entre soap naïf et film de monstre.

Kao, chanteur dans la tourmente médiatique, rentre dans son village pour la mort de son grand-père qui l’a élevé. La, une amie d’enfance dont il est secrètement amoureux devenue youtubeuse à succès lance un concours de forage pour trouver de l’eau et aider à sauver le village de la sécheresse. Mais en creusant, les divers participants vont rencontrer un mal qui sommeille dans les sous-sols, tout d’écailles et de dents, qui vas venir semer la terreur.

Le kitch de l’histoire et du jeu d’acteur donne un aspect comique à ce long métrage. Le monstre souffre parfois d’une 3D un peu faible, le mêlant avec une qualité variable au reste de l’image. Il est cependant très réussi dans son design, et tout le film étant un festival de too much demandant déjà de débrancher son cerveau, cela ne péjore en rien le spectacle.

Un divertissement très particulier donc, agréable, car débordant d’envie de faire plaisir au public, mais à éviter si les univers plus proches des télénovellas que de Godard peuvent vous rebuter. Au milieu d’une sélection de films aux thématiques graves, c’était ici au NIFFF une bouffée d’air frais salutaire.

Baptiste


Thelma de Joachim Trier (Carte blanche à Oliver Sim)

Thelma est une jeune femme vivant à Oslo pour ses études. Même éloignée du cocon familial, elle est surveillée de près par ses parents, chrétiens et pratiquants. Du jour au lendemain, Thelma développe des symptômes étranges qui s’avèrent être la face visible de pouvoirs surnaturels. L’intensification des crises amène avec elle des souvenirs d’enfance oubliés.

Habitué du drame, notamment avec le succès d’Oslo, 31 août, Joachim Trier essaie avec Thelma (2017) une forme hybride de cinéma, en ajoutant une face fantastique à un drame familial ; aidé au scénario de son acolyte de longue date Eskil Vogt – à qui l’on doit le récent et excellent The Innocents (2021). Thème récurrent dans les films de Trier, Thelma reprend une figure de personnage solitaire, luttant pour ne pas être déchirée dans une réalité sociale difficile.

Thelma ne tire toutefois pas de conclusion hâtive et laisse volontairement de la place à diverses interprétations, se contentant de présenter ses situations à travers une mise en scène élégante. Un style tant travaillé dans la construction de ses personnages qu’il détonne parfois avec d’autres aspects du film et crée un sentiment d’inégalité dans leur traitement. La présentation d’une famille catholique stéréotypée ou le recours à une histoire fantastique de sorcières en trame de fond paraissent faibles comparés à la sophistication des scènes de drame. Inégalités qui n’empêchent toutefois pas Thelma d’être un film d’une grande classe, exploration d’une zone encore peu exploitée et souvent dévalorisée d’un entre deux mondes cinématographiques, à la fois film d’auteur et fantastique. 

Alex