NIFFF, jour 7 : l’antépénultième

[08/07/2022]

Les derniers jours du festival approchent, mais cela ne veut pas dire que le travail se termine pour nos deux nos stakhanovistes des salles obscures. Deux chefs-d’œuvre au programme : ça drague au lac et requiem pour un Zurichois.

Falcon Lake de Charlotte Le Bon (section Third Kind)

Premier long métrage de Charlotte Le Bon, Falcon Lake retrace les vacances d’un couple adolescent qui se forme doucement. Dans une mise en scène extrêmement soignée émerge une ambiance particulière, à la fois tendre et mystérieuse.

Bastien, 14 ans, arrive de Paris avec sa famille pour passer les vacances dans un petit chalet au Québec, hébergé par une amie qui vit avec sa fille Chloé, 16 ans. Entre les deux, une douce relation de complicité s’installe, compliquée par toutes les hésitations et maladresses des premières fois. Joseph Engel et Sara Monpetit jouent avec justesse, évitant l’écueil des dialogues caricaturaux. Ils forment au centre du film une relation en transformation à laquelle on croit sans se poser de questions.

Si le titre du film vient d’un lieu, c’est que l’environnement joue un rôle prépondérant dans tout le film. La petite cabane entre les arbres à l’intérieur saturé d’objets divers, la forêt environnante et ses chemins de terre, et surtout ce lac, au milieu des arbres, sert pour nos deux personnages de lieu de détentes et de contemplation, la nature par sa tranquillité assistant le rythme lent du récit.

La photographie capte parfaitement les deux personnages et leur environnement. Dans un ratio 4/3 très justement exploité, chaque image se compose comme un tableau, laissant la lumière jouer sur les textures pour nous donner une impression très sensorielle des événements.

Cet été particulier nous entraîne en son sein, mais l’obsession de Chloé pour les fantômes et la douceur surnaturelle des lieux induit un mystère dérangeant rendant l’expérience du film d’une richesse rare. Cette note amère qui empêche le film d’être un simple film feel-good de vacance au goût sucré fait sa force. Ce fantastique par l’ambiance rend tangible notre impossibilité de revoir le monde comme eux. Un monde où tout est plus exacerbé et plein d’inconnu pour le futur. Cette touche de mystère relève l’étrangeté vécue à l’adolescence en nous troublant doucement.

Une très belle réussite pour un premier long métrage, qui fait preuve d’une maîtrise certaine, mais toujours au service de son histoire et des émotions. À voir pour se laisser emporter dans cette douceur inquiétante, au bord du falcon lake.

Baptiste


Soul of a Beast de Lorenz Merz (section Amazing Switzerland)

Gabriel sort tout juste de l’adolescence, mais il doit déjà assumer la responsabilité de son fils Jamie. Ils vivent tous les deux dans un appartement de banlieue crasseuse zurichoise. Tiraillé entre son devoir parental et sa volonté de vivre librement, Gabriel laisse parfois Jamie seul pour sortir la nuit. Une nuit, alors qu’il suit son meilleur ami Joel, il tombe amoureux de sa petite amie Corey.

Soul of a Beast suit une narration non linéaire qui nous aspire comme un vortex au fur et à mesure des problèmes rencontrés par Gabriel, admirablement interprété par Pablo Caprez. Luttant pour son fils et son amour, il doit faire face à son passé, à Zoé – la mère de Jamie – qui veut récupérer l’enfant, ou encore à Joel. Avec une ville de Zurich au bord de la révolution en trame de fond, le film se construit par bribes de mouvements superposés, à la limite de l’expérimentale. Entre déplacements dans les rues, ou élans d’émotions entre les personnages, la caméra ne tient jamais en place, à l’image de Gabriel et de ses pulsions.

Plus les manifestations s’intensifient dans les rues, plus l’idée d’un avenir heureux semble impossible pour Gabriel. Dans une lente descente aux enfers aux allures de tragédie, il est emporté par des ambitions qui se retournent contre lui ; symbolisées par un format 4/3 servant aussi bien de cloisonnement des corps, dans un cadre déjà très serré, que de bulle intimiste, protection contre la montée d’un environnement hostile. Le sound design, très riche et présent, ainsi qu’une palette saturée et chaude, tout est mis en place pour avaler les personnages à l’image, dans une ambiance suintante et fiévreuse.

Une grande réussite pour Lorenz Merz qui parvient à trouver un équilibre dans les genres et dans le rythme, pour proposer un film inclassable, détonnant dans le paysage des productions suisses.

Alex