NIFFF, jour 6 : le NIFFF par tous les temps

[07/07/2022]

Riche programme en ce sixième jour de festival pour nos deux pèlerins temporels de la météo défavorable. Au programme : cmd+c/cmd+v, monte-en-l’air de haute volée, maman j’ai raté le présent et mariage japo-niais.

Dual de Riley Stearns (compétition internationale)

Difficile de connaître avec certitudes les intentions de Riley Stearns avec Dual. Film de science-fiction anticipatrice, comédie noire ou thriller psychologique ; tout y est, et pourtant aucun ne ressort clairement. C’est peut-être parce que le réalisateur réussit un travail déjà bien entrepris dans ses deux premiers longs-métrages, Faults (2014) et surtout The Art of Self-Defense (2019). A savoir, créer des univers complètement antipathiques, où les spectateur·rices ne savent très vite plus sur quel pied danser, afin de raconter son histoire sur fond de malaise latent.

Dans Dual, c’est bien un monde déshumanisé que subit Sarah, une femme ordinaire, au couple chancelant. Lorsqu’elle apprend qu’elle va mourir bientôt d’une maladie incurable, elle décide de se faire cloner, afin de laisser à ses proches de quoi combler son absence. Très vite, le double de Sarah s’avère développer une personnalité qui lui est propre. Perçu par son entourage – composé de la mère de Sarah et de son petit ami – comme meilleur que l’original, le double commence petit à petit à s’approprier la vie de Sarah. Par miracle, cette dernière se remet de sa maladie. Souhaitant alors « annuler » son clone, Sarah se retrouve piégée dans des méandres politiques, qui ne peuvent mener qu’à un duel à mort pour décider de qui continuera à être Sarah.

Bien plus noir que ses précédents films, Riley Stearns réussit avec brio à construire des personnages à l’allure convenable et pourtant, indifférents à leur entourage. La déshumanisation est le moteur de cette science-fiction proche et, si un sous-texte critique d’une société individualiste et protocolaire transparaît assez évidemment, le réel intérêt de Dual demeure dans sa capacité à projeter les specateur·rices dans son univers. Sarah, bien que très naïve, semble être la seule protagoniste, douée d’émotions attendues. C’est donc naturellement que l’on évolue avec elle au fil du récit et que l’on subit d’une certaine manière les événements qu’elle traverse. Si bien que lorsque le film fait rire, le rire grince et donne plus envie de s’échapper de ce monde que d’attendre la prochaine farce réservée à Sarah. Car oui, le film fait parfois rire, souvent même. Un humour particulier certes, mais, qui couplé aux nombres de références pop et autoréférences grandissantes à la filmographie de Stearns, ne manquera pas de faire penser à une version pessimiste des films d’Edgar Wright.

Alex


Diabolik de Antonio & Marco Manetti (section Third Kind)

Adaptation de la bande dessinée du même nom créée dans les années 60, Diabolik des frères Marco et Antonio Manetti, est le premier film d’une trilogie donnant une nouvelle jeunesse à cet antihéros charismatique.

La ville de Clerville vit dans la terreur, le maléfique Diabolik vole et tue sans vergogne pour parvenir à ses fins. Mais l’arrivée en ville d’une riche Lady d’Afrique du Sud, Eva Kant, va mettre en marche une série d’événements donnant enfin à l’inspecteur Ginko une chance de mettre la main sur le terrible criminel.

Combinaison moulante et jaguar noir, le Diabolik incarné par Luca Marinelli se fond à merveille dans ce film rétro. L’intrigue est à la fois très bien écrite et totalement dans le genre de fumetti (BD mensuelles) allant de rebondissement en rebondissement sans nous laisser reprendre notre souffle. Miriam Leone incarne une Eva Kant fatale à la beauté glaciale, tandis que l’inspecteur Ginko de Valerio Mastandera avance les sourcils froncés par la réflexion et la pipe en bouche, offrant deux interprétations d’archétypes du genre magnifiques.

Cette esthétique rétro n’est pas qu’un artefact lié aux décors et au scénario, mais vient également dans la mise en scène et du montage. Le film est pensé comme un film d’action des années 70, mêlant séquence d’espionnage et de casse avec un suspense très maîtrisé. Quelques split-screens au moment opportun, aucune accélération de montage pour rester fidèle à un rythme d’époque, tout ce qu’il faut pour donner une saveur particulière à ce métrage à notre période ou l’action s’uniformise sur des montages très cut.

Le dernier grand avantage de ce film – peut être un désavantage pour certains – Diabolik est un vrai antihéros. Le film ne tente aucun désamorçage par l’humour, ou par une histoire attachante expliquant son comportement. Diabolik assassine sans remord, et c’est par son charisme hypnotisant et par l’envie de voir ses plans ingénieux se réaliser que nous suivons bien malgré nous ses exactions. Il ne reste plus qu’à espérer que les deux suites, déjà tournées, sauraient prolonger cette réussite.

Baptiste


The Timekeepers of Eternity de Aristotelis Maragkos (section Ultra Movies)

Ici, comme bien souvent, tout est une question de temps. Il y a The Timekeepers of Eternity, film de Aristotelis Maragkos. Il y avait The Langoliers, téléfilm de Tom Holland. Il fut The Langoliers, nouvelle de Stephen King. Remontage d’une adaptation télévisée, ce film est la reprise en main d’une histoire sur le temps pour en faire un objet sur le temps.

Chaque image du téléfilm est imprimée, puis scannée et enfin, remise dans un ensemble et accompagnée de la bande-son pour reformer le film. Mais les mains du réalisateur viennent déchirer ces images. Les cuts ne sont plus des passages d’un plan à l’autre, saut temporel habituel du cinéma. Ils sont des images qui se déchirent, offrant à voir une superposition de bouts de plans. Ce remontage expérimental n’en est pas moins entièrement limpide dans son déroulé et donc accessible en plus de son intérêt comme objet.

Dans un avion en route pour Boston, il y avait des passagers endormis. Quand ils se sont réveillés, stupeurs, ils étaient seuls. Dans ce petit groupe, qui tentait de comprendre ce qui leur arrivait, se trouvaient deux personnages plus inquiétants que les autres. Une jeune enfant aveugle, qui entendait des bruits menaçants, entourant le groupe et se rapprochant petit à petit, et un homme d’affaires névrosé persuadé que les Langoliers, des démons maléfiques, les poursuivaient inlassablement.

Au cinéma, le temps fut spatial, imprimé sur de longues bandes que seul le défilement rapide put rendre au présent. Dans ce film, il fut spatial par son impression sur une pille de feuilles. Chaque feuil représentât un instant, et juxtaposer des feuilles déchirées permit de condenser les temps, de rendre simultanés plusieurs présents différents. Les déchirures, les pages froissées, toutes ces marques indiquèrent la matérialité du temps au cinéma en la dégradant. Notre voyage, comme celui des passagers de l’avion ne fût plus paisible, tant se troubla la transparence du présent si naturel à nos yeux, et que pris forme l’étrange et l’inconnu dans la fabrique même du présent devenu fragmentaire et pluriel.

C’est très bon film, qui était à la fois un pari esthétique et une histoire passionnante, et qui eut mérité que vous le regardassiez quand vous aurez le temps.

Baptiste


Wedding High de Ohku Akiko (section Third Kind)

Les amateurs et amatrices assidu.es du NIFFF se caractérisent par leur présence régulière aux films de la compétition internationale, leur choix pertinent de séance ou leurs avis construits sur le cinéma d’horreur. Mais les fans les plus hardcores du festival et du cinéma de genre ne manqueraient pour rien au monde la comédie absurde asiatique de la programmation. D’un simple regard aux coins des yeux et d’un léger hochement de tête, iels se reconnaissent lorsqu’iels se retrouvent en milieu d’après-midi pour regarder deux heures de cris jubilatoires en japonais. Laissons donc derrière nous nos connaissances en histoires du cinéma ou autre référence cinématographique pédante ; mettons nos cerveaux de côté et nous sommes prêt·es à parler de Wedding High, la nouvelle comédie de la réalisatrice japonaise Akiko Ohku.

Akihito et Haruka forment le couple idéal et décident de sceller leur union par le mariage. Aidé de leur planificatrice matrimoniale, le couple doit prévoir les moindres détails de la cérémonie. Mais comment prévoir l’imprévisible ? Alors que tous les membres de la famille et de l’entourage du couple veulent participer – avec un peu trop d’enthousiasme – aux festivités, l’ancien petit ami d’Haruka se voit empêcher le mariage, persuadé d’une union arrangée. La charge revient au couple et surtout à la planificatrice, de réussir à éviter le désastre.

Entre les fortes personnalités de ses protagonistes, les flash-back à répétition et le mélange de traditions japonaises et occidentales, Wedding High nous aspire dans un vortex nuptial à la fois cauchemardesque et ultra-jouissif. Difficile de rester impassible face à la bonne humeur, souvent grotesque, qui se dégage de cette comédie. Akiko Ohku nous offre un contre-la-montre kitsch, à ne pas prendre trop au sérieux, mais qui propose toutefois une narration kaléidoscopique. Multipliant les points de vue et les simultanéités, la construction du récit, certes peu originale, n’en demeure pas moins efficace. Le rythme, bien qu’effréné, ne souffre pas de sa propre allure, jouant astucieusement sur les back stories des personnages pour à la fois faire rire et donne de l’air au film.

Wedding High est à l’image des coupes de Champagne, apparaissant à chaque toast aux mariés : léger, pétillant et doré, attention toutes fois à ne pas trop en consommer, où c’est le mal de crâne assuré. 

Alex