NIFFF, jour 4 : on ne sait plus quel jour on vit

[05/07/2022]

« Ce matin j’ai vu un film. Ou peut-être. J’ai reçu mon billet, je suis allé à la séance. Ça ne fait aucun sens » : Nos deux festi-chevaliers continuent leurs aventures au NIFFF et commencent de perdre leurs repères dans la marée de film. Au programme : réunion de famille ; kung-fu, gloire et poupées ; Dernier train pour Gyeongsang ; Saloum ou 120 journées au Sénégal.

Family Dinner de Peter Hengl (compétition internationale)

Dans la veine du cinéma autrichien montrant des relations sociales malsaines, comme chez Michael Haneke ou Ulrich Seidl, Peter Hangl signe un film d’horreur, à l’allure d’un drame claustrophobique. On y suit l’arrivée de Simi, une adolescente en surpoids, dans la maison de sa tante Claudia, qui vit avec son nouveau mari Stefan et son fils Filipp. Simi espère que sa tante, célèbre nutritionniste et autrice de plusieurs best-sellers à ce sujet, pourra l’aider à perdre du poids et se sentir plus à l’aide dans son corps. Forcée par sa tante à un régime sec jusqu’au dimanche de Pâques, Simi subit les relations dégradées entre les membres de la famille. Happée dans un dangereux jeu de pouvoir, Simi découvre la face cachée de la vie, apparemment trop saine, de sa tante.

Partant manifestement d’une vision pessimiste des relations humaines, Family Dinner se construit autour de son carré de personnages et des différentes relations qui les unissent les uns avec les autres, toutes profondément malsaines. Stefan déteste secrètement le fils de sa femme, alors que cette dernière manipule son fils depuis des années. Ce complexe instable sert de moteur scénaristique au film et nourrit son ambiance pesante, à la limite du supportable. En effet, dans Family Dinner, tout sert à déranger les spectateur·rices : l’enfermement des deux adolescents ­– tant physiquement, dans l’enceinte de la maison, que psychologiquement, avec l’abondance de règles absurdes et de surveillance au sein du foyer, ou encore le cadrage, souvent (trop) serré. Même la musique, qui, si elle est peu présente aux moments clés du récit, contribue par son absence à un univers qui déjoue nos attentes.

Peter Hangl, alumni de la Filmakademie de Vienne, promet avec Family Dinner, son premier long-métrage, une digne continuité du cinéma autrichien. Si le film souffre de quelques incohérences ou facilités de scénario face à d’autres chefs-d’œuvre du même genre, il a l’originalité d’ajouter un aspect fantastique assumé à son récit. Le traitement, un peu naïf malheureusement, de l’ésotérisme rapproche Family Dinner du folk horror. Un choix ambitieux, mais prometteur, ouvrant la voie à un renouveau pour le cinéma autrichien.

Alex


Demigod : The Legend Begins de Chris Huang Wen-chang (Asian Competition)

Il y a en festival des moments incongrus, mais si précieux, comme par exemple voir des personnes se promener avec des marionnettes d’un mètre de haut en costumes traditionnels taiwanais revisités. Ces marionnettes, ce sont les stars du film Demigod : The Legend Begins, et leur marionnettiste les acteurs invisibles de ce conte wuxia (histoire de chevalier errant). Une conférence donnée par Alex Chen (producteur) et Lin Kuei-hsieh (marionnettiste) présentait le studio Pili International, qui s’est spécialisé dans cette production de films et séries de marionnettes traditionnelles modernisées. Ce film, présenté dans la catégorie Asian Competition, est leur dernière création et raconte les origines d’un personnage récurent de leur série télévisée qui dépasse l’heure actuelle les trois mille épisodes.

Su Huan-jen est un médecin hors pair. Contre l’avis de son maître, il va intervenir dans les conflits ancestraux d’une famille royale et se retrouver mêlé à une lutte absolue contre les ténèbres tissées par des conspirateurs perfides. Seuls son courage, ses talents d’escrimeur et quelques alliés surprenants lui permettront de surmonter ces épreuves.

Si le style visuel de marionnettes à main (et non en stop-motion) peut surprendre un public non initié, force est de reconnaître que le film est d’une parfaite maîtrise technique. Des personnages et des décors façonnés avec soin, ainsi que des mouvements gracieux soulignés par des effets pratiques et quelques retouches numériques, tout se mêle pour donner à l’image un caractère chatoyant. Les scènes de combats virvoletants succèdent aux dialogues où se révèlent vertus et complots, dans cet écrin de couleurs.

Si le kitsch est pour vous plus un atout qu’un désavantage dans un film, et si vous aimez voyager dans un style de cinéma peu commun, alors Demigod devrait vous satisfaire. Laissez ces marionnettes vous emporter dans leur monde merveilleux ou la demi-mesure n’a jamais mis le pied.

Baptiste


Miracle : Letters to the President de Lee Jang-hoon (section Third Kind)

Le NIFFF est connu pour ses films d’horreur, ses thrillers, ou encore ses slashers ultras gore de minuit. C’est après tout la carte de visite du festival, ce qui attire les fans initiés ou, au contraire, retient les plus sensibles de venir au festival. Ce qui toutefois est moins connu dans la programmation, c’est la sélection annuelle d’un ou deux films à l’antipode du film d’horreur, où tout n’est qu’amour et sensibilité, quitte à embrasser le kitsch. Pour cette édition, il s’agit du film coréen Miracle : Letters to the President.

Jun Kyung vit dans un village retranché d’une province proche de Daegu. Abandonné des services publics, ce village n’a aucun autre accès qu’une voie ferrée, qu’il faut emprunter à pied pour rejoindre l’arrêt le plus proche. Un trajet long et dangereux, puisque la ligne n’est pas abandonnée ; des trains de fret passent aléatoirement et manque à chaque trajet d’écraser les habitants et habitantes rejoignant le village. Prodige des mathématiques, Jun Kyung rêve d’offrir une gare aux siens. Pour cela, il écrit régulièrement des lettres, qui restent sans réponse, au président de la nation. Motivé par l’absence de réaction du gouvernement et par sa rencontre avec Ra Hee, une fille de son lycée, Jun Kyung décide d’entreprendre lui-même les travaux de construction. Au fur et à mesure de l’avancée du projet, le passé familial tragique de l’adolescent resurgit et l’oblige à prendre ses responsabilités.

Oscillant entre comédie romantique, drame familial et film fantastique, Miracle réussit à émouvoir dans tous les genres qu’il traverse. La mise en scène joue toutes les cartes de la corde sensible pour toucher ses spectateur·rices, sur tous les registres possibles, parfois inattendus. Bien sûr, le film tombe parfois (souvent) dans le kitsch ou le cliché de la comédie romantique, mais sans cela, l’expérience ne serait pas complète. La naïveté et l’innocence que s’en dégage n’enlève en rien la richesse des personnages et des relations qui les unissent ; bien au contraire, elles participent à la génération de larmes, quasi instantanée à chaque rebondissement ou scène dramatique. Et malgré ses airs candides, Miracle utilise avec justesse les changements de rythmes et de genres pour toujours désarmer une sensation de too much pointant à l’horizon.

Déjà auteur d’un autre film du même acabit – Be with you (2018) – Lee Jang-Hoon réussit à faire rire, puis pleurer à quelques minutes d’intervalle et montre avec Miracle une compréhension et une maîtrise du patchwork de genres, qui créent un point de rencontre pour les fans de divers horizons cinématographiques.

Alex


Saloum de Jean Luc Herbulot (section Ultra Movies)

Trois mercenaires se mettent en planque quand leur mission d’escorte d’un dealer mexicain tourne au vinaigre. Coincé dans un petit village ils vont se retrouver confrontés aux fantômes du passé et à d’autres, plus tangibles, qui arpentent ces terres.

Si ce résumé pourrait faire penser à un film d’action américain, ou asiatique, c’est une erreur, Saloum est un film africain de bout en bout. Jean Luc Herbulot, Franco-Congolais autodidacte, nous transporte dans un Sénégal moderne, mais hanté par le passé. Un monde déchiré par les guerres actuelles, mais où les esprits maléfiques sortent encore du sable pour se venger des hommes.

Les personnages sont très bien écrits, et étant des archétypes classiques de film d’action, ils nous donnent un point accès aux enjeux auquel le spectateur occidental est moins habitué. Le leader, Chaka, la brute, Rafa, et le mystique, Midnight, forment un trio redoutable et nous donnent envie de plonger avec eux dans cette cavale.

Le paysage du delta du Saloum est rendu à la fois dans son côté désertique et grouillant de vie au bord de l’eau. Ce fleuve éponyme traverse le film comme un fil conducteur, donnant un sens profond à cette action déjà divertissante par sa mise en scène efficace.

Découvrir du cinéma d’action classique, mais redéfini par une autre région du globe est intéressant en soi, et Jean Luc Herbulot réussit son pari en nous proposant un film haletant et dépaysant. Il transmet son amour pour une région et son histoire, tout en faisant bien comprendre que son style de film est celui où les héros écrivent leur légende dans le sable à la pointe du flingue.

Baptiste