NIFFF, jour 1 : une ouverture tout feu, tout flamme

[02/07/2022]

Le NIFFF 2022 s’est ouvert hier soir à Neuchâtel. Sur 9 jours, une centaine de longs et courts métrages, des expériences VR et autres conférences autour du cinéma fantastique seront proposés dans les 5 salles et l’Open-Air du festival. Retrouvez aujourd’hui (et chaque jour à venir) les reviews de Baptiste et Alex, nos deux aventuriers subcosmiques du cinéma de genre.

Le film d’ouverture de cette 21e édition du NIFFF, Les Cinq Diables de Léa Mysius (critique ci-dessous), promettait une entrée tout en douceur dans le fantastique, glissant les spectateurs doucement dans ce monde étrange qui va être notre quotidien, neuf jours durant. À la place, on s’est pris une salade de phalanges qui craquent et du surinage poisseux. Projeté en après midi avant le film d’ouverture, The Roundup de Lee Sang-Young a été notre premier contact avec cette édition, et il a été musclé.

Cet actioner coréen dépassant aujourd’hui la douzaine de millions d’entrées dans son pays natal était présenté en première Européenne dans la séction Asian Competition. Don Lee, star connue à l’international notamment pour The Eternal, y campe un flic coréen à la carrure d’armoire normande, utilisant comme seul arsenal ses deux énormes poings. Accompagné de son chef au rôle de side kick humoristique, il part au Vietnam extrader une petite frappe en cavale et se retrouve mêlé à une sanglante affaire de kidnapping qui dérape.

Face aux poings de la justice, la machette du grand méchant, campé par un Son Seok-gu suintant magistralement de cruauté, va se frayer un chemin d’affrontement en affrontement, toujours plus spectaculaire. Les chorégraphies efficaces accompagnées d’un sound design, à la limite du too much, font ressentir viscéralement la violence des impacts.

À l’heure où les violences policières suscitent de nombreux débats en Occident, le réalisateur coréen semble ne pas partager ces troubles et expose ici du tabassage de témoins, de l’interventionnisme dans des pays étrangers représentés comme faibles, et de l’arrestation plus que musclée. Cette absence de retenue face au crime qui rappelle du Chuck Norris ou du Steven Seageale première époque peut être dérangeante tant ces représentations problématiques ont diminuée dans le cinéma occidental. Un film à éviter donc si cela peut vous indisposer, mais dans le cas ou un Dirty Harry moderne vous ferait plaisir pour passer une soirée, vous trouverez avec The Roundup, un divertissement largement à la hauteur.

Mais le film qui m’a le plus marqué hier était un film de deuxième partie de soirée, dans la sélection Ultra Movie, et qui représente bien celle-ci. Non pas par un contenu violent, mais par sa forme radicale. Everything Everywhere All at Once, est le second long métrage du duo Dan Kwan & Daniel Scheinert après le marquant Swiss Army Man. On y suit les doutes existentiels et familiaux de Eveyn, gérante de laverie jouée par Michelle Yeoh, qui vont se transformer en lutte contre un monstre multidimensionnel. Véritable puzzle d’univers parallèles jetés dans un mixer lancé à toute vitesse, le film propose un jeu de variation extrême sur sa situation initiale, tout en restant claire grâce à ses personnages principaux attachants, liant le tout. Les grands thèmes du film, le destin, la famille, ne sont pas éclipsés par l’humour et l’action, mais s’y développent et offrent des scènes toujours touchantes.

La mise en scène et le montage font de cette histoire déjà colorée un véritable feu d’artifice. Les trouvailles visuelles permettent de comprendre facilement l’action qui se déroule sous nos yeux, tout en rendant l’aspect chaotique de l’expérience vécue par l’héroïne.

En dire plus serait gâcher une expérience de cinéma qui n’attend que vous. Si vous n’êtes pas allergiques à la joyeuse excentricité, alors je ne peux que vous encourager à tenter l’expérience.

Baptiste


Les Cinq Diables de Léa Mysius (ouverture du festival)

Perchée dans un petit village des alpes françaises, tout semble normal dans la vie de la famille Soler, composée de Joanne (Adèle Exarchopoulos), maitre-nageuse, son mari pompier Jimmy (Moustapha Mbengue) et leur fille Vicky (Sally Dramé). Cette dernière a du mal à s’intégrer parmi les autres enfants de son village et se réfugie dans une activité peu commune. À l’aide de différents objets qu’elle trouve durant sa journée, elle concocte des parfums, qu’elle classe soigneusement à l’aide d’étiquettes, recréant ainsi les odeurs de son quotidien et notamment celle de sa mère adorée.

Ce qui semble être un simple don olfactif s’avère être un véritable pouvoir surnaturel lorsque Julia, la sœur de Jimmy, débarque dans la famille. Vicky sent que la venue de sa tante n’est pas bien vue par sa mère et met en péril l’équilibre familial. Elle commence alors de fouiller et sentir les affaires de Julia. Le mélange des odeurs de Julia et de sa mère projette la fillette dans leur passée, au moment où les deux femmes se sont rencontrées.

Alternant ainsi, entre deux temporalités, le récit se construit petit à petit, éclairant les tabous de la famille à la lumière des souvenirs visités par Vicky. Il ne s’agit cependant pas de deux réalités bien distinctes et hermétiques. La jeune fille, lors de ses voyages dans le passé de ses parents, peut interagir avec Julia adolescente. Ce sont d’ailleurs les apparitions de la fillette qui vaudront la réputation de folle à Julia et causeront le drame familial. Ce dispositif permet habilement à Vicky de rentrer dans l’intimité familiale et de questionner sa place en son sein.

La réalisatrice Léa Mysius s’était déjà distinguée en tant que réalisatrice pour son premier long-métrage Ava (2017) et en tant que scénariste, notamment pour Les Olympiades (Jaques Audiard, 2021) ou Des étoiles à midi (Claire Denis, 2022). Sélectionné en tant que film d’ouverture du NIFFF 2022, Les Cinq Diables est un très bon représentant du fantastique contemporain promu par le festival. Mêlant drame, film d’autrice et film de genre, le film de Léa Mysius réussit le pari de repenser le rôle du fantastique, qui devient le moteur du récit. Loin d’un fantastique source de conflit, il est au contraire de recréer les liens perdus et de briser les non-dits familiaux. Un fantastique de recréation donc, ou de réparation (même s’il ne laisse pas les personnages intacts) d’une histoire personnelle, tue ou perdue.

Alex