« Hive » – Critique

© Frenetic Films

Le bourdonnement des oppressées

Une vingtaine d’années après la fin de la guerre du Kosovo, Blerta Basholli sort son troisième long-métrage, Hive, basé sur la réelle histoire de Fahrije, femme Kosovare dans l’attente de nouvelles concernant son mari tragiquement disparu 7 ans auparavant durant les massacres des forces serbes dans le village de Krushe e Madhe. Le film met alors en lumière son combat, autant psychologique que physique, singulier que collectif, face à l’oppression masculine des mœurs conservatrices d’un village rural, mais aussi face à un deuil irréalisable par l’absence de toute preuve de vie ou de mort de son mari ou de celui des autres veuves de la région, partageant la même situation de Fahrije. Se rassembler pour s’entraider et créer un collectif de soutien devient alors une des seules manières pour ces femmes de s’en sortir et de trouver une forme d’indépendance dans leur situation.

Le long du film, les spectateurices sont témoins de la violence personnelle envers Fahrije subissant la haine, la violence et la moquerie face à son émancipation, mais aussi une violence collective faite aux femmes dont on punit la volonté d’autonomie et de liberté. De passer son permis à participer dans la création d’une entreprise entre femmes pour récolter des fonds, en passant par le simple fait de travailler, elle subit chacune de ses décisions prises dans une optique de libération et d’émancipation, des conséquences que son beau-père lui soulignera à double reprise avec la phrase « ce que tu feras affectera toute ta famille en bien et en mal » donnant un poids d’autant plus lourd à toutes ses actions allant à l’encontre des valeurs patriarcales du village. Son beau-père, qui d’ailleurs se trouve dans un déni profond face à la mort quasi certaine de son fils, ne manquera pas de lui rappeler qu’elle doit connaitre sa place dans sa famille : celle d’une femme soumise qui ne devrait pas faire plus de bruit que celui de ses pleurs face à l’impossibilité de retrouver son mari.

Toutefois, malgré les insultes, la culpabilisation, les dommages sur sa voiture, les ragots, les réactions négatives de sa famille, y compris de sa fille, et une tentative de viol, Fahrije refuse d’adopter le statut de femme soumise : elle s’affirme, reste présente et presque impassible, bien au centre du cadre, relâchant la pression lors d’un unique et bref instant où sous la douche, il est possible de la voir pleurer. En effet, même sa fille Zana lui reproche de ne jamais pleurer, ce qui créera un fossé entre la mère et la fille. Hors de cette intimité visible dans une minime ouverture de rideau de douche, elle tient tête, éduque sa fille et refuse que le mot « pute », qui lui a d’ailleurs été adressé par des hommes du village, soit prononcé par celle-ci, répare les canalisations sous les yeux de son fils, jette un pavé à la fenêtre de ceux qui l’insultent.

Sa lutte non sans douleur est aussi représentée dans son maintien en état des ruches de son mari : malgré tous les soins apportés, elle se fait piquer et porte les marques laissées par les insectes sur son corps. Elle n’a pas d’autre choix que de s’occuper des abeilles de son mari, et elle en subit les conséquences, mais elle continue puisqu’il s’agit de son principal revenu pour sa famille, de la même manière qu’elle ne laissera pas les hommes du village gagner dans leurs démarches pour briser ses tentatives d’émancipation, qu’elles soient singulières comme passer son permis de conduire, ou travailler, ou collective comme la destruction du labeur permettant aux femmes de récolter des fonds pour leur association. Toutefois, ces insectes portent aussi le symbole de l’acharnement et du travail, miroitant le travail collectif des femmes, comme des ouvrières, dans leur préparation de l’Ajvar, condiment qu’elles ont pour but de vendre dans un supermarché afin d’obtenir des fonds pour leur association.

Si Hive montre la force collective par le rassemblement des femmes, le film fait aussi appel à une force par le mélange des générations avec la présence Zana, créant une rupture générationnelle dans la manière dont les femmes sont considérées. Elle est porteuse d’espoir et de liberté puisqu’elle pourra – elle au moins – faire des études et avoir un parcours émancipateur. Toutefois, une phrase reste gravée en tête appuyant sur le poids omniprésent du patriarcat lorsque les femmes abordent le futur de Zana : peu importe ses études et son futur parcours, « école ou pas, elle restera une femme ».

Ce film plait et touche à grande échelle : gagnant des trois catégories principales à Sundance, ce qui est un record historique. La puissance et la détermination de Fahrije marquent les esprits, et permettent à de nombreuses personnes opprimées et luttant contre les injustices patriarcales de s’identifier à elle. Hive permet par la même occasion de montrer un aspect peu mis en lumière des répercussions de la guerre : la place des femmes et des veuves parmi les hommes survivants. Finalement, le film marque par sa fin : Blerta Basholli amène la conclusion de son long-métrage par le biais d’authentiques vidéos de Fahrije, montrant cette femme n’ayant jamais perdu sa détermination dans son combat.

Annaelle Poguet (09/04/2022)


Hive
Réalisation & scénario : Blerta Basholli
Image : Alex Bloom
Montage : Félix Sandri, Enis Saraçi
Musique : Julien Painot
Costumes : Fjorela Mirdita, Hana Zeqa
Interprètes : Yllka Gashi, Çun Lajçi, Aurita Agushi, Kumrije Hoxha, Adriana Matoshi
Date de sortie : 6 avril 2022
Pays de production : Kosovo, Suisse, Albanie, Macédoine du Nord
Durée du film : 84 min.