« Wet Sand » – Critique

© Sister Distribution

Secrets de village et cercueil bon marché 

Lors des 57e Journées de Soleure, Wet Sand d’Elene Naveriani, réalisateurice d’origine géorgienne, reçoit le « Prix de Soleure ». À cette occasion, le festival salue « la tendresse et l’évidence avec lesquelles les tabous sont abordés et brisés sans le moindre état d’âme ». En effet le film traite des discriminations à l’égard des personnes LGBTQIA+ tout en mettant en scène des relations de pouvoir, des rencontres inattendues, des mensonges, le tout dans une ambiance paradoxalement paisible. On se retrouve dans un lieu isolé, excentré, en contraste avec la ville : un village au bord de la mer Noire en Géorgie, à la périphérie de Tbilissi.

C’est à la suite du suicide de Eliko que les habitant·exs du village voient leur quotidien changer. Sa petite fille, Moé, vient organiser ses funérailles. Elle est une sorte de catalyseur à l’histoire. Vivant à Tbilissi même, c’est avec son statut d’étrangère, d’outsider, qu’elle redécouvre un lieu de son enfance et qu’elle vient se confronter – quasi malgré elle – aux dynamiques des villageois·exs et découvre au fur et à mesure les différents non-dits et tabous du village.

L’ouverture du film nous met en tête à tête avec Eliko, profitant d’un verre de vin, une musique émanant de sa platine vinyle. Il s’agit d’un long plan, cadrant le personnage seul dans son intimité, chez lui, fidèle à son statut d’ermite. C’est dans cette atmosphère presque paisible, avec une lumière tamisée, qu’Eliko vit ses derniers instants et écrit une lettre d’adieu à Amnon, son amant caché. On ressent la gravité de la situation sans confrontation franche avec son suicide. Dans cette scène, on ne voit pas, on comprend.

Cette représentation indirecte de la violence peut être vue comme un élément clé du film. En effet, Naveriani touche à plusieurs sujets et nous fait prendre conscience de leur importance, sans pour autant montrer explicitement la violence à l’écran, mais plutôt en nous mettant face à ses conséquences. Cela permet de ne pas choquer « gratuitement » les spectateurices. De plus, les quelques scènes de violences sont justifiées. Par exemple, la confrontation verbale entre Moé et les habitant·exs a pour but de faire passer un message : la discrimination à l’égard d’Eliko a poussé ce dernier au suicide. Elle met les villageois·exs face à leur homophobie. Et n’oublions pas l’incendie du bar « Wet Sand » : c’est un acte de haine de la part d’un habitant qui finalement se transforme en funérailles, réunit les deux défunts amants, les libère d’une vie restreinte et met fin à une ère pour laisser place à une autre.

De manière générale, le film de Naveriani permet de réfléchir à la question : Quand, comment et surtout pourquoi représenter la violence à l’écran ? Peut-être, pour commencer, avec une mauvaise bière et de la bonne musique géorgienne.

Mila Frey (30/03/2022)


Wet Sand
Réalisation : Elene Naveriani
Scénario : Elene Naveriani, Sandro Naveriani
Image : Agnesh Pakozdi
Montage : Aurora Vögeli
Interprétation : Bebe Sesitashvili, Gia Agumava, Megi Kobaladze, Giorgi Tsereteli
Date de sortie : 30 mars 2022
Pays de production : Suisse, Géorgie
Durée du film : 115min.