« Le Regard de Charles » – Critique

Autoportrait de l’artiste en filmeur

Le regard de Charles, réalisé par Marc di Domenico à partir de rushs inédits filmés par Aznavour et ses proches, ce documentaire rafraîchissant trouve, avec un succès inégal, une forme hybride entre le journal filmé et l’hommage (auto)biographique à une légende de la chanson française.

Si les chansons de Charles Aznavour sont connues de tous, sa passion pour les images et les innombrables heures de contenu qu’il a filmé durant sa vie le sont beaucoup moins. Marc di Domenico, déjà réalisateur notamment d’un documentaire télévisé sur l’interprète de La Bohème en 2018, s’est attelé à visionner et à traiter les archives personnelles d’Aznavour pour nous livrer un film de montage en forme de faux autoportrait, en intégrant d’autres matériaux comme des images télévisuelles du chanteur ou des extraits de ses chansons. L’ensemble, inégal, disparate, faits d’oublis volontaires et de jeux sur la chronologie, ne trouve pas son intérêt dans l’information qu’il délivre mais dans sa forme composite de collage qui dévoile à la fois le regard, pas toujours défendable, que portait l’artiste sur son entourage et sur lui-même et les velléités captivantes d’un cinéaste qui ne sera jamais né.

Aznavour cinéaste

Ce qui frappe, en premier, c’est la qualité des images produites par le chanteur, leurs cadrages innocents, leur proximité avec les choses et les gens et leur beauté formelle, hantée par le grain rassurant de l’amateurisme. Cet entrelacement brut de motifs de voyages, de fragments intimes et d’images édifiantes témoignant d’un frénétique chemin vers la gloire dégage une élégance toute irradiante qui perd néanmoins de son charme mystérieux sous les coups d’une narration en voix-off omniprésente. Cette voix, celle de Romain Duris, reprenant et arrangeant les écrits et les dires d’Aznavour, incapable d’ajouter une dimension supplémentaire au collage, vient s’y greffer artificiellement, explicitant jusqu’à saturation le contenu des images et tuant du même geste la magie sourde qui s’en dégageait. Aznavour cinéaste en ressort affaibli, presqu’éteint par les mots du Aznavour auteur que nous connaissions déjà. Nous réentendons une voix connue et, là où nous pensions trouver un regard pur et inédit, nous découvrons trop souvent un regard formulé, si ce n’est reformulé.

Charles, regardant ou regardé

Cela dit, tout n’est pas à jeter dans le choix de la voix-off et c’est peut-être un autre projet qu’elle dessine en filigrane, celui de la construction, au croisement du regard du spectateur et de celui de l’artiste, d’une figure, d’une icône dont personne ne parviendra réellement à déchiffrer le succès. C’est Charles et son public contemplant Aznavour, une confusion des regards, une forme de journal intime lu en public et qui, loin d’éclairer le phénomène de starification et la personnalité du chanteur, la rend peut-être plus énigmatique et fascinante que jamais. Objet hydride en tous points, entre documentaire et construction fictive, explicitation et mystère, échecs et splendeurs, Le regard de Charles surprend, trouble et nous ramène, l’air de rien, vers un plaisir simple : réécouter Aznavour et s’émerveiller.

Vincent Annen (08/12/2019)



Le Regard de Charles

France, 2019, documentaire, 83 min.
Réalisation Marc Di Domenico, Charles Aznavour
Scénario Marce Di Domenico
Narration Romain Duris