« The House that Jack built » – Critique

Matt Dillon dans The House that Jack Built (Lars von Trier, 2018).

C’est sans doute avec un soupçon d’appréhension qu’on se presse cependant à la projection de la nouvelle œuvre de Lars Von Trier. Le réalisateur danois, cofondateur du mouvement Dogme95 avec Thomas Vintenberg, a pu présenté son nouveau long-métrage hors compétition au festival de Cannes, après avoir été banni des réjouissances en 2011 en raison de ses opinions peu défendables concernant Hitler. Après Melancolia, Antichrist, ou encore Nymphomaniac, le réalisateur revient avec un thriller fortement controversé qui a fait fuir bon nombre de spectateurs lors du festival. Respectant ainsi néanmoins sa devise : « si on peut le penser, on doit pouvoir le montrer »…

Son dernier film, The House that Jack built, nous amène par un chemin broussailleux dénué de sortie de secours, au cœur de l’enfer. En effet, s’inspirant fortement de la Divine Comédie de Dante, le protagoniste, un tueur en série dénommé Jack, souffrant de TOC et dont on nous ouvre le cerveau psychotique, se confesse au cours de cette plongée abyssale à celui qui le guide et tente de le faire se repentir, Verge, baptisé de la sorte en référence à Virgile. Une véritable dialectique s’instaure entre les personnages brillamment incarnés par Matt Dillon et Bruno Ganz, qui oppose deux visions contradictoires du monde. Le damné saisi l’occasion pour revenir sur les cinq « incidents » qui l’ont mené sur ces sillons mentaux et géographique scabreux.

Chaque séquence nous présente donc un des meurtres commis par Jack, qu’il considère avec conviction comme des œuvres à travers lesquelles il peut se réaliser sur un plan métaphysique. S’il semble en effet se surprendre lui-même en exécutant son premier meurtre sur une jeune femme en détresse jouée par Uma Thurman, cet acte déclenche une course assoiffée pour assouvir ses pulsions dévoilées. Sa cruauté se déchaînant au file des victimes, Jack applique un soin infini à la mise en scène des crimes qu’il signe fièrement avec le pseudo « Mr. Sophistication ». Persuadé d’honorer la Création artistique en la débridant de son amenuisement causé par la morale, il voit dans son entreprise une performance symbolique qui lui donne l’élan et la protection nécessaire à son parachèvement. Position philosophique qui ne manque pas d’ailleurs de rappeler celle du réalisateur danois.

Si Jack frôle l’arrestation à plusieurs reprises, c’est toujours en s’exhibant au maximum face au risque et en désarmant ses interlocuteurs par un flux de parole incongru que ce génie du baragouinage se sort de situations dont l’issue semblait certaine. Jouant ainsi tout le long avec le concept du contraste, Lars Von Trier démontre que la meilleure manière de se dissimuler en société est justement de s’exposer.

Les interactions étant souvent teintées d’absurde, on n’ose pas faire entendre son rire grinçant tant la jubilation de la souffrance et l’agonie des autres trouve dans ce film un déchaînement parfois insoutenable. C’est pourtant lorsqu’il libère ce sadisme que le serial-killer se sent le plus présent à lui-même, développant une réelle addiction et nous mettant en garde, nous spectateur, contre toute identification. Si bon nombre de scènes de tortures deviennent superflues à force de faire défaillir notre tolérance, notre espoir d’un secours extérieur au duo cruel du bourreau et de la victime grandit sans trouver d’exhaussement. Von Trier en composant son œuvre  de plusieurs plan-séquences hétéroclites qui illustrent l’enfer ou certains propos du dialogue conducteur, ne limite pas avec cette construction en patchwork au ton étonnamment pédagogique le pouvoir évocateur de ce film qui trouve son souffle par delà le bien et le mal.

Romain Borcard (29/11/2018)