« Sale temps à l’hôtel El Royale » – Critique

Après le film très original « La cabane dans les bois » qui mélange humour et satyre du genre horreur à travers une moquerie des clichés hollywoodiens, Drew Goddard nous propose un genre très différent. Il s’agit d’un huis-clos à suspense inspiré par les œuvres de Quentin Tarantino et en particulier par « The Hateful Eight ».

A la fin des années 1960, quatre personnes dont un cambrioleur déguisé en prêtre âgé souffrant d’un début d’Alzheimer joué par Jeff Bridges, une chanteuse africaine américaine qui ne trouve pas beaucoup de succès jouée par Cynthia Erivo, un agent du FBI dissimulé sous un vendeur très bavard et sûr de lui joué par Jon Hamm ainsi qu’une jeune femme très froide avec un fort caractère jouée par Dakota Johnson se rencontrent par hasard pour passer une nuit dans un hôtel nommé le « El Royale ». Glamour et populaire par le passé, celui-ci s’est vite dégradé pour ne devenir qu’un motel sordide occupé seulement par un jeune concierge détenant de très sombres secrets. Tout commence à se gâter lorsque ces personnes révèlent leurs véritables identités et qu’un certain homme joué par Chris Hemsworth est appelé pour les emmener en enfer.

Une caractéristique de ce film est qu’il est divisé en chapitres qui portent chacun le nom d’une chambre d’hôtel. Cela lui donne un aspect théâtral qui captive le spectateur. Cette idée est d’ailleurs inspirée par « Kill Bill » qui utilise le même procédé. Ces chapitres nous permettent non seulement de découvrir individuellement les personnages mais également d’avoir leurs points de vue sur les évènements. Ces multiples trames narratives donnent de la profondeur aux personnages dans lesquels on s’investit, ce qui amplifie le suspense présent tout au long du film. Il y a une certaine dynamique des plans qu’on ne peut négliger. Il n’y a aucun moment où le film devient inintéressant visuellement. On varie constamment entre séquences rapides pour les scènes d’action et séquences très lentes pour les scènes sentimentales ou les très grandes tensions. La manière dont l’hôtel est filmé fait ressortir une certaine beauté esthétique. Plus le film avance, plus il devient sombre et imposant. Une symétrie est quasi omniprésente aussi bien à l’extérieur, formalisée par une ligne rouge séparant l’hôtel entre deux états d’Amérique, qu’à l’intérieur où les plans fixes font ressortir cet équilibre et donnent un air menaçant à cet immeuble. En général, le montage et la mise en scène sont des grands points forts de ce film. Ces procédés transmettent une atmosphère lugubre, une tension palpable ainsi qu’une beauté esthétique s’en dégagent.

Les personnages ont tous des caractères uniques et variés. Lors de la scène d’exposition, Ils paraissent simples et typiques. Par exemple, le prêtre est gentil et serviable, le vendeur est bavard et agaçant. Ce n’est qu’à partir du moment où leurs véritables identités se révèlent que les personnages deviennent intéressants et complexes. On arrive à voir que le directeur s’intéresse à la nature humaine de certains. Cela est particulièrement visible avec les personnages du prêtre, Daniel Flynn et du concierge Miles Miller. Tous deux ont commis des actes répréhensibles, comme cambrioler une banque ou garder des secrets criminels immoraux mais on arrive progressivement à les comprendre et à éprouver de l’empathie pour eux. Tous les personnages ont des bons et mauvais côtés, ce qui les rend humains. La seule exception est « Billy Lee », principal antagoniste du film. On anticipe sa venue avec des flashbacks dans lesquels on le perçoit comme un sauveur aidant ceux qui se sont perdus dans la vie. Ce n’est qu’à partir de son arrivée que l’on apprend qu’il est le seul à être profondément mauvais. C’est un manipulateur utilisant ceux qu’il « aide » pour ses propres fins. Ce contraste présent entre les personnages donne un côté humain réaliste au film tandis que l’inhumanité que portraie Billy Lee apporte une facette terrifiante qui remet en question les valeurs morales de l’homme. Il y a tout de même un personnage avec lequel le directeur a essayé de faire passer un message, mais n’a pas vraiment réussi. Il s’agit de la seule femme afro-américaine, Darlene Sweet, jouée par Cynthia Erivo. Le racisme présent aux Etats-Unis dans les années 60 veut être dénoncer avec Darlene. Cette problématique n’est par contre visible qu’à travers une petite scène flashback où l’on apprend qu’elle était chanteuse et se faisait harceler par un supérieur blanc parce qu’il n’aimait pas sa voix. A partir de ce moment-là, le film veut constamment démontrer ses talents de chanteuse afin de contredire la scène en question. A tel point que l’on pourrait croire que l’actrice elle-même est utilisée pour ajouter de la musique aux scènes. On aurait aimé voir une meilleure exploitation d’un personnage qui pourrait être intéressant, en particulier parce que Cynthia Erivo a un grand talent d’actrice mais aussi musical.

Dans l’ensemble, le film possède un grand quota de divertissement. Grâce à son rythme balancé entre scènes d’action et flashbacks, on n’arrive difficilement à s’ennuyer. L’esthétique qu’il arrive à véhiculer via les plans de caméra et le décor lugubre de l’hôtel contribue au suspense omniprésent. Un grand défaut du film, malheureusement, est sa structure. Vu qu’un chapitre est dédié à un personnage, l’intrigue principale a du mal à avancer. Celle-ci, à cause du manque de temps, paraît bâclée et insatisfaisante. On anticipe durant toute la durée du long-métrage la venue de l’antagoniste principal mais la scène finale dure peut-être 15 minutes pour un film de 2h20, ce qui nous laisse sur notre faim.Tous les acteurs ont été convaincants, en particulier le concierge joué par Lewis Pullman. Il interprète parfaitement un jeune homme troublé par son passé qui cherche à se faire pardonner. Chris Hemsworth joue bien même si on aurait préféré le voir un peu plus vu l’importance de son personnage. Les musiques, toutes des années 60, s’immiscent bien dans les scènes, leurs donnant du caractère et du dynamisme. D’autant plus qu’elles sont, pour la plupart, introduites au moyen d’une jukebox et non ajoutés en post-production : ce qui donne aux musiques une raison d’être.

Malgré quelques petits défauts, Drew Goddard rend hommage à Tarantino en nous livrant un film rempli de suspense, des personnages bien écrits, un montage original et un grand divertissement. « Bad times at the El Royale » est un film à voir pour tous les amateurs de thrillers.

Christian Schodde (15/11/2018)