« Silence » – Critique

Scorsese traite dans son dernier film des persécutions subies par les missionnaires chrétiens dans le Japon du XVIIe siècle. Nous sommes invités à suivre le périple de deux jésuites, le père Rodrigues (Andrew Garfield) et le père Garupe (Adam Driver). Ils partent depuis la Chine pour le Japon à la recherche du père Ferreira (Liam Neeson), leur ancien mentor qui aurait, selon une rumeur, renié sa foi sous la pression de l’inquisition japonaise.

Arrivés dans un Japon où plus aucun prêtre ne semble prêcher, Garupe et Rodrigues se retrouvent face à la difficulté de retrouver Ferreira dans un environnement aussi hostile. Nos deux jésuites deviennent vite, à défaut, les guides spirituels d’une communauté chrétienne en manque de vie religieuse ; et ce sous l’ombre de l’inquisition et des persécutions réservées aux chrétiens.

Une ambition du film, revendiquée jusque dans son titre, est de traiter de la mise à l’épreuve de la foi face au silence de Dieu. Pourquoi prier et comment continuer à espérer face à la souffrance, au martyr et à la persécution ? Pourquoi persévérer dans ses croyances, dans l’idolâtrie pour une simple promesse d’amour et de béatitude face à un monde si cruel ? Comment diable continuer à croire en un Dieu qui laisse mourir ses fidèles les plus zélés dans d’atroces souffrances ? Poser une telle question aujourd’hui, ce serait semble-t-il se poser la question du fanatisme. Comment un individu peut-il être programmé au point de sacrifier sa vie pour un idéal dont il ne possède pas de preuve tangible ? Quelle est donc cette inclinaison de la nature humaine pour un absolu transcendantal ?

A ces questions complexes semblent se dessiner des réponses qui le sont tout autant. Le film, lui, ne s’embête que d’un vernis de nuance. Il nous présente d’abord deux pôles de valeurs ressenties comme opposées. D’une part, les chrétiens seraient porteurs d’un message de paix et d’amour qui permet l’accomplissement spirituel de tous, mêmes des plus défavorisés. La parole serait un message universel, seulement empêchée au Japon par un contexte défavorable. Le bouddhisme serait lui religion d’Etat, servant les intérêts des « puissants », ne pouvant percevoir dans le religieux qu’un outil pour asseoir leur autorité. Le film veut toutefois nuancer son propos, et sans trop en révéler sur l’intrigue, présente en surface l’incompatibilité du christianisme avec la culture japonaise, en particulier avec ses catégories de pensée. Toutefois, et c’est bien là sa faiblesse, il ne présente au final que deux modes de pensée irréconciliables qui n’arrivent qu’en apparence à cohabiter. On pourrait s’interroger sur le dialogue entre les peuples, sur la possibilité d’un échange interculturel (et un peu plus universel) qui va au-delà des différences d’idéologie. Cela semblerait salvateur dans le contexte politique et social actuel. Scorsese n’en a que faire. Il présente des prédicateurs, venus porter un message spécifique, l’amour pour le Christ, opposés à des inquisiteurs sadiques sans trop de considérations pour leur peuple. La seule question qui importe au film c’est de comprendre comment continuer à vivre sa foi dans un environnement hostile, sans jamais vraiment remettre en question ses croyances fondamentales. Le film réinterroge simplement la possibilité de les transmettre. Le parjure est par ailleurs un des seuls ressorts narratifs utilisés par le film, de manière bien trop appuyée et mécanique.

Scorsese semble indiquer que la foi peut subsister malgré le parjure, dans un terreau hostile, contre vents et marées. Il est bien dommage que le film s’arrête là dans son propos et il aurait sans doute été préférable qu’il livre une vision plus nuancée et moins partisane de l’évangélisation, notamment en ce qui concerne son caractère colonisateur. Présenter la parole christique comme un message d’amour et de paix, c’est bien joli, mais la confronter à la réalité et en extraire un substrat nuancé et porteur d’espoir, ce serait autre chose. Un cours de théologie pratique servirait sans doute les cerveaux derrière cette réalisation. Comprendre ce qu’on peut amener de soi à l’autre sans l’écraser sous ses croyances, dans une optique humaniste et non pas toxique, c’est là le but d’un vrai humanitarisme. Mais vraiment aider sans vouloir de manière égoïste persévérer dans ses convictions et les propager, aux dépens d’autrui, voilà qui semble impossible pour les padres de Martin Scorsese. Présenter une pensée d’un autre temps pour cacher une lâcheté morale, celle de ne pas oser dénoncer, n’est pas une excuse. Le seul message, désespérant, que le film nous fait retenir, porte sur le caractère inaliénable de la nature humaine, et sur une fermeture d’esprit qui n’accepte qu’un dialogue de surface.

Romain Gapany (16/02/2017)