Jardin

Quelques autres fleurs à cueillir

Au pied de cette colline ceinte de murs, le chemin passait à l’ombre de nombreux tertres, hauts et verts. Sur leur face ouest, l’herbe était blanche comme neige poussée par le vent : de petites fleurs y poussaient comme des étoiles innombrables parmi le gazon.

– Regardez ! dit Gandalf. Que ces yeux qui brillent dans l’herbe sont beaux ! On les appelle « souvenir éternel », symbelmynë en cette terre des Hommes, car elles fleurissent en toutes saisons et croissent où reposent les hommes morts.

Tolkien, Le Seigneur des Anneaux, II, chap. 6.

– Lay her i’th’ earth,
And from her fair and unpolluted flesh
May violets spring. […]
– Sweets to the sweet. Farewell.

Shakespeare, Hamlet, V, 1

Les vieilles femmes
Tout en pleurant cheminent
Et les bons ânes
Braillent hi han et se mettent à brouter les fleurs
Des couronnes mortuaires
[…]
Le cimetière est un beau jardin
Plein des saules gris et de romarins
Il vous vient souvent des amis qu’on enterre
[…]
Le vent du Rhin ulule avec tous les hiboux
Il éteint les cierges que toujours les enfants rallument
Et les feuilles mortes
Viennent couvrir les morts

Apollinaire, Rhénane d’automne

With fairest flowers, Whilst summer lasts and I live here, Fidele,
I’ll sweeten thy sad grave: thou shalt not lack
The flower that’s like thy face, pale primrose, nor
The azured harebell, like thy veins, no, nor
The leaf of eglantine, whom not to slander,
Out-sweeten’d not thy breath: the Ruddock would, 
With charitable bill, – O bill, sore-shaming
Those rich-left heirs that let their father lie
Without a monument! – bring thee all this;
Yea, and furr’d moss besides, when flowers are none,
To winter-ground thy corse.
C’est avec les plus belles fleurs que, tant que durera l’été et que je vivrai ici, je veux, Fidèle, embaumer ta triste tombe. Je ne manquerai pas de t’apporter la fleur qui est pareille à ton visage, la pâle primevère, et la clochette azurée comme tes veines, et la feuille de l’églantier qui, sans médisance, est moins parfumée que ton haleine. A mon défaut, le rouge-gorge, dans son bec charitable, (ô petit bec, comme tu fais honte à ces riches héritiers qui laissent leur père couché sans monument !) t’apporterait tout cela. Oui, et quand il n’y aura plus de fleurs, il mettrait sur ton corps une fourrure de mousse comme vêtement d’hiver.

Shakespeare, Cymbeline, IV, 2

Ils étaient bons ces champignons.

Epitaphe anonyme

Il est un arbre au cimetière
Poussant en pleine liberté,
Non planté par un deuil dicté, –
Qui flotte au long d’une humble pierre.

Sur cet arbre, été comme hiver,
Un oiseau vient qui chante clair
Sa chanson tristement fidèle.
Cet arbre et cet oiseau c’est nous :

Toi le souvenir, moi l’absence
Que le temps – qui passe – recense…
Ah, vivre encore à tes genoux !

Ah, vivre encor ! Mais quoi, ma belle,
Le néant est mon froid vainqueur…
Du moins, dis, je vis dans ton cœur ?

Verlaine, Dernier espoir

Here did she fall a tear. Here in this place
I’ll set a bank of rue, sour herb-of-grace.
Rue even for ruth here shortly shall be seen
In the remembrance of a weeping queen.

Ici elle a laissé tomber une larme ; ici, à cette place, 
Je mettrai des plants de rue – l’herbe amère de grâce, 
La rue, qu’en signe de pitié, on verra bientôt ici grandir, 
Et d’une reine en pleurs garder le souvenir.

Shakespeare, Richard II, III, 4

Je ne viens point jeter un regret inutile
Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur.
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Et fier aussi mon cœur.

Que celui-là se livre à des plaintes amères,
Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami.
Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières
Ne poussent point ici.

[…] Ô puissance du temps ! ô légères années !
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets;
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Vous ne marchez jamais.

De Musset, Souvenir

The flowers are sweet, their colours fresh and trim;
But true-sweet beauty lived and died with him.

Shakespeare, Vénus et Adonis

C’est l’heure où tombent les belles gouttes de rosée,
où renaissent la rose, la délicate angélique
et le parfum du mélilot.
Alors dans ses longues courses errantes,
Arignota se souvient de la douce Atthis,
l’âme lourde de désirs, le cœur gonflé de chagrins.

Marguerite Yourcenar, La couronne et la lyre — Sappho, fr. 96

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

— Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

Baudelaire, L’ennemi