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Dîner avec M. Hugues Poltier

Le 25 novembre 2014, en Coeur de Section, l’ORPHI a reçu M. Hugues Poltier, MER en philosophie générale et systématique, pour une rencontre placée sous le signe de la question « Qu’est-ce que la philosophie (générale et systématique, mais aussi en général)? ». M. Poltier a répondu ainsi…

Si la philosophie consiste en quelque chose, c’est essentiellement en un « arrachement au sens commun ». Rien ne va de soi, comme on le croit souvent. La tâche de la philosophie est précisément d’interroger ce genre de présupposés implicites, qu’on considère comme allant de soi; tellement de soi, d’ailleurs, qu’on en vient à oublier de les remettre en question…

La philosophie est aussi par là une critique des idéologies: des discours dominants qui orientent les actions.

Le double objet de la philosophie est le suivant: premièrement, elle consiste en une tentative de réponse à la question « Qu’est-ce qu’il y a? »; interrogation ontologique, qui suppose de se demander si, par exemple, des valeurs sont nécessaires pour préexister à une pensée. Deuxièmement, elle accompagne inséparablement un questionnement sur le « bien vivre ». Par là, il convient de considérer à nouveau les choses comme « n’allant pas de soi »; l’interrogation « Comment vivre bien? » est liée à une recherche de réponse(s) à la première question. Les deux sont inextricablement emboîtées.

Concernant ses recherches, M. Poltier a indiqué avoir effectué une thèse de doctorat sur Claude Lefort, penseur français connu pour ses travaux en philosophie politique inscrits dans le contexte de la Guerre Froide; thèse qui a abouti à un livre en 1997. Sous l’effet de la chute du Mur de Berlin et de ses conséquences (démembrement du bloc de l’Est et espoir déçu de réconciliation avec l’Ouest), Hugues Poltier a entrepris un « aggiornamento », selon ses propres termes, de la pensée de Lefort; par là, entendez une « revisitation » de l’apport marxiste, à « amender » selon M. Poltier si l’on souhaite comprendre le monde actuel.

Un autre auteur étudié par M. Poltier est Spinoza; par l’examen de son Traité Théologico-Politique, M. Poltier cherche à repenser la politique en dehors du cadre (de pensée) libéral; à réaffirmer la centralité du politique au détriment de l’individualisme croissant qui a cours actuellement dans nos démocraties occidentales.

A suivi le temps des questions. La première a été celle-ci: « Avez-vous déjà pensé à faire de la politique? ». M. Poltier a répondu que oui, bien sûr, mais que le problème était que d’une part, le philosophe n’est pas le militant (et l’inverse), et que deuxièmement et surtout, il lui serait actuellement impossible de concilier « ses nombreuses vies » avec un engagement politique. Toutefois, il envisage de se lancer bientôt dans une activité militante.

Une deuxième question a porté sur le rôle qu’il est possible de jouer, en tant que penseur/intellectuel, dans les médias? « Difficile à double titre! », a répondu Hugues Poltier: le danger est de se compromettre, la difficulté celle de se faire accepter par les (grands) médias, tous contrôlés par des (grands) groupes économiques. Quant à ceux qui tentent tout de même de s’y frayer une place (Alain Finkielkraut, Michel Onfray par exemple, en France), M. Poltier porte sur eux un regard nuancé; chacun diffère dans sa prise de position médiatique, a-t-il souligné.

Une dernière question a appelé une dernière (longue) réponse de la part de M. Poltier: celle de savoir comment il lui est possible de concilier des champs de recherches aussi larges? M. Poltier travaille en effet tant sur les questions politiques liées à la démocratie et aux totalitarismes, par exemple, qu’à celles relatives à la question de l’indentité ou encore à Leibniz.

Réponse(s): La philosophie doit être comprise comme englobante: elle ne cherche pas à comprendre un objet particulier (comme les sciences le font par exemple), mais le Tout. A ce titre-là, il est naturel pour M. Poltier de réfléchir à/au Tout, de s’interroger sur de multiples objets. A vrai dire, l’éducation dont il a bénéficié, inscrite dans l’héritage de penseurs « totalisants » comme C. Lefort ou C. Castoriadis, lui a donné le goût de s’interroger sur de multiples objets. Peut-être est-ce aussi une affaire de génération(s), a-t-il souligné… Avant de conclure qu’il s’agi(rai)t, en philosophie, d’aller dans la direction de la compréhension de l’Ensemble afin de saisir le Particulier.

Hugues Poltier (MER en philosophie générale et systématique, UNIL).
Hugues Poltier (MER en philosophie générale et systématique, UNIL).

Romain Fardel