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Leonid Sekatski – Vérités et bonheur

Lundi soir 17 novembre 2014, l’ORPHI a eu le plaisir Leonid Sekatski, étudiant de troisième année en philosophie, pour une conférence sur les questions de l’individualité, des « vérités subjectives » et de la capacité à les dépasser, et de la place de la philosophie dans nos vies – entre autres. Un vaste programme, qui s’est exposé ainsi qu’il suit – plus ou moins!

La conférence a débuté par une réflexion sur la philosophie. Quelle place tient celle-ci dans nos vies? Selon Leonid, la philosophie joue un rôle primordial pour nombre d’entre nous; elle contribue à une transformation du regard sur le monde. Mais qu’est-elle? Question immémoriale – ou presque. Etymologiquement, être philosophe signifie être philos (« amant ») de la sophia (« sagesse » et « savoir » chez les Grecs – les deux significations se recouvrent). Le philosophe est l’ami, l’amant de la sagesse et du savoir. Il cherche à gagner un savoir et une sagesse dans cette vie et tente d’y trouver son fil rouge.

Selon Leonid, qui s’est appuyé sur René Génon (La crise du monde moderne) ainsi que la vision antique de la philosophie et de la sagesse, cette dernière est supérieure à la philosophie. La sagesse ne signifie pas, d’ailleurs, « intelligence », a-t-il précisé ! Non: le rapport entre sage et sagesse est un rapport d’amour: l’apprenant contemple la sagesse, l’aime et par elle, s’enrichit. Philosophie et sagesse ne se valent pas, mais c’est bien la sagesse qui est l’objec(tif) de la philosophie.

Pour Leonid, la sagesse consiste en la faculté à distinguer l’essentiel de l’accessoire: le primordial du secondaire  – d’où le titre de la conférence.

Afin de distinguer vérité primordiale et vérités secondaires, Leonid s’est notamment référé à la démarche de phénoménologie transcendentale de Husserl, en prenant pour exemple la manière dont nous percevons un arbre. ll a affirmé que nous ne voyons qu’une facette de l’arbre, son image (le noème), qui se rattache au monde phénoménal. Les abeilles, par exemple, perçoivent l’arbre différemment, car leurs yeux constituent les formes et les couleurs d’une autre manière et, de plus, leur point de vue est totalement différent. Ces différents noèmes d’un même arbre sont distincts de son essence (sa noèse), qui, elle, nous reste inconnue. La nature fondamentale de l’arbre nous est inaccessible, elle est en quelque sorte cachée par son image. Une situation similaire se présente avec notre conscience, qui donne sens à notre perception, sans pourtant se confondre avec elle : la conscience nous est inaccessible par une approche purement descriptive et naturaliste. Mais alors, comment y accéder malgré tout?

D’après Leonid, c’est la fameuse épochè phénoménologique husserlienne qui devrait nous le permettre. Ce terme, repris des sceptiques par Husserl, correspond à une « mise entre parenthèses » du monde extérieur et des jugements que nous portons sur lui: c’est-à-dire à se détacher, ne serait-ce que pour un bref instant, de qui nous sommes et de ce qui nous entoure. Par là, nous  arrivons à un type transfiguré de connaissance, exempte de tout jugement conditionné par notre histoire, notre éducation, notre culture et nos perceptions précédentes. Lorsque l’ego, représenté par une définition formelle de nous-même, s’est dissout, nous accéderions à un contenu transcendental, « un vide qui révèle le tout ». Ce néant nous effrayant, nous tenterions à tout prix de l’éviter, ce qui nous mènerait constamment à penser, juger et agir, nous distançant par là d’une conscience véritable.

Ainsi, la conscience se distinguerait de la pensée comme le noème de la noèse, et Descartes aurait eu tort en affirmant qu’il est car il pense. En effet, cette affirmation n’est qu’une pensée de plus, c’est-à-dire une vérité secondaire; le fait d’en avoir conscience la dépasse. Cette conscience repose en une non-dualité entre le sujet et l’objet perçu. Elle se retrouve dans plusieurs traditions orientales et dans la mystique chrétienne avec Maître Eckart.

La conscience est inaltérable et immuable, a poursuivi Leonid: elle est ce qui nous permet continuellement de percevoir nos pensées, sans pourtant en être une elle-même. Elle est le « témoin intérieur » qui assiste au monde dans son changement incessant. Selon lui, c’est notre essence, notre identité profonde qui permet à tous nos contenus mentaux d’avoir lieu. Tout comme la musique a besoin du silence pour exister, nous avons nous aussi besoin de « silence » (une sereine reconnaissance de notre conscience, dépassant les pensées) pour vivre et être véritablement nous-mêmes.

Leonid a poursuivi (et terminé) par une dernière partie sur le bonheur. L’eudaimonia est la tâche première à réaliser pour les philosophes, selon les Grecs. Aujourd’hui, nous abordons trop souvent cette notion de manière uniquement « quantitative »: il s’agit par exemple d’avoir une belle femme, une jolie maison à la campagne, de beaux enfants, etc. : un ensemble de « propriétés » dépendant de critères extérieurs. Le vrai bonheur, lui, est un état intérieur de l’ordre d’une joie profonde  d’être. Elle découle de la réponse à la question: « Qui suis-je ? » et se reflète dans nos actions, nos attitudes et notre rapport au monde. Joie profonde et bonheur diffèrent. Alors que le « bonheur », perçu d’un point de vue moderne, est par nature ephémère et fragile, la joie profonde provient de la reconnaissance de notre essence ; on ne peut donc l’altérer et la perdre.

Leonid a ainsi brièvement conclu qu’en philosophie, il s’agit d’aller vers la sagesse! Et que ce qui compte est de distinguer toujours joie profonde (vérité primordiale) et bonheur (vérité secondaire) dans notre vie.

La discussion s’est poursuivie par différentes questions relatives à ces deux notions, à celles de conscience et de pensée, et à plein d’autres choses encore. L’une d’entre elles est particulièrement ressortie: être sage signifie-t-il être conscient? Le débat a été long, et aucune réponse définitive n’en est sortie… Qu’en pensez-vous ?

Romain Fardel