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Colloque du CREALP – Perspectives contemporaines en épistémologie : constructivisme et phénoménologie

L’OrPhi a l’immense plaisir de vous inviter à son nouvel événement qui se déroulera les 19 et 20 avril 2018. Nous avons l’honneur d’organiser ce colloque en collaboration avec trois membres actifs du CREALP (Centre de Recherches en Epistémologie, Analyse Logique et Phénoménologique) : Albino Attilio Lanciani, Carlos Lobo et Piergiorgio Quadranti. 

 

Brèves biographies des intervenants :

Albino Attilio Lanciani est l’un des membres fondateurs du CREALP. Il a soutenu ses thèses à l’Université Libre de Bruxelles, où il a été élève de Marc Richir, et à l’École Normale Supérieure de Lyon. Ses intérêts de recherche portent sur les problèmes de la théorie de la connaissance, aussi bien dans le milieu scientifique qu’artistique. Parmi ses publications signalons, Mathématiques et musique. Les labyrinthes de la phénoménologie (Krisis). Un vol. 22 x 14 de 276 pp. Grenoble, Jerôme Millon, 2001 ; Phénoménologie des sciences cognitives, Ed. Mémoires des Annales de phénoménologie, Beauvais, 2003 ; Les perdants. Dialogue sur la philosophie contemporaine, Metispresses, Genèvre, 2007 ; Analyse phénoménologique du concept de probabilité, Hermann, Paris, 2012 ; Idee per una filosofia della matematica, Esculapio, Bologne, 2014 ; « Husserl’s project of reform of logic and its outcomes in Gian-Carlo Rota», Revue de Synthèse, Tome 138, 2017, Cambridge University Press.

Carlos Lobo est professeur de philosophie en Première Supérieure (à Caen). Directeur de programme au Collège International de Philosophie et membre du Centre de Philosophie des Sciences de l’Université. de Lisbonne, ses recherches relèvent d’une phénoménologique rigoureuse et ouverte, en dialogue avec les figures de l’épistémologie, de la philosophie et des sciences contemporaines, attentive également aux questions de l’affectivité, de l’action ou de l’esthétique. Il a récemment publié :  « Digging out the roots of affective fallacy », Eikasia, Septembre, Madrid, 2016, pp. 321-349. « Le maniérisme épistémologique de Gilles Châtelet, Relativité et exploration de l’a priori esthétique chez Husserl selon Weyl et Châtelet », Revue de Synthèse, Tome 138, 2017, Cambridge University Press ; «  Some reasons to reopen the question of the foundation of probability theory following Gian-Carlo Rota’s way », in Philosophers and Mathematics, in Honor of Prof. Roshdi Rashed, éd. Hassan Tahiri, Springer, 2018.  « Husserl’s Reform of Logic. An introduction », in The New Yearbook for Phenomenology and Phennomenologicaêl Philosophy, Routledge, 217, pp. 16-48. Traducteur, il vient de publier en 2018 chez Métis Presses, une version française de Hermann Weyl,  Philosophie des mathématiques et des sciences de la nature (Préface co-écrite avec Françoise Balibar).

Piergiorgio Quadranti. Après des études en physique théorique et en philosophie à l’université de Genève, il effectue sa thèse de doctorat avec Carl Friedrich von Weizsäcker (Max-Planck-Institut Starnberg) sur les fondements de l’épistémologie de Piaget, avec qui il collabore par ailleurs pendant près de 10 ans. Dans sa thèse, il propose un nouveau paradigme interprétatif, combiné avec une option constructiviste radicale. Parallèlement à son métier de professeur de philosophie et de physique au collège, il dédie ses recherches au développement de ce nouveau paradigme, en collaborant notamment avec Carlos Ulises Moulines, Wolfgang Balzer et J. D. Sneed. Parmi ces travaux on peut citer Le devenir de l’autre : sur les fondements ontologiques de l’épistémologie de Piaget (Droz, 1984), (Piaget)2 (Peter Lang, 1992) et La raison constructrice : essai de réalisme constructiviste pour une ontologie quantique (Peter Lang, 2007).

 

Résumés des présentations : 

Un chapitre de la refondation de la logique formelle par la phénoménologie. La notion de Fundierung 

On a assisté, au long des décennies, à l’apparition de plusieurs démarches cohérentes avec la proposition originaire de la phénoménologie comme « science rigoureuse ». À ce sujet, on peut considérer de manière particulièrement attentive celles visant à la création d’une logique plus adhérente à l’architecture de la connaissance proposée par cette école philosophique. L’un des piliers fondamentaux de cette attitude est représenté, sans aucun doute, par le concept de Fundierung. Ce concept est introduit lors de la IIIe Recherche Logique de Husserl et, malgré sa fonctionnalité apparente, il n’est pratiquement plus utilisé dans la suite de son œuvre. La plupart des occurrences de ce concept sont présentes dans les différents volumes des Husserliana, surtout ceux qui publient les manuscrits inédits du philosophe allemand. Notre projet n’est pas de comprendre pourquoi cette notion s’est pratiquement évaporée dans la suite du travail publié par Husserl lui-même, mais plutôt d’en récupérer le grand pouvoir explicatif dans la constitution de cette logique nouvelle toujours recherchée dans le projet fondateur du père de la phénoménologie. En ce sens, il nous semble qu’il faut considérer deux possibilités analytiques pour rendre plus opératoire et, en même temps, plus fructueuse cette notion :

 

  1. Telle qu’elle a été présentée par Husserl cette notion a le grand avantage de miser plutôt, du point de vue constitutif, sur le concept de relation que sur celui d’objet. Le passage n’est pas mince car il justifie une compréhension plus dynamique de la relation de Fundierung par rapport à une tradition logique fixant les objets comme les éléments de base de toute logique possible.
  2. D’autre part Husserl, en quelque sorte, s’arrête là. Il faut attendre le travail important d’un mathématicien-philosophe bien postérieur – Gian-Carlo Rota – pour donner le dynamisme nécessaire à l’idée radicalement nouvelle introduite par Husserl.

 

Cette nouvelle compréhension de la notion de Fundierung s’articule à partir d’une définition qui permet de sauvegarder le sens dynamique déjà mis en évidence par Husserl lui-même : la Fundierung est constituée par un couple indissociable formé par une fonction et une facticité. Comme on le dit en logique formelle, ce couple est une notion primitive et on ne peut pas le dissocier sans perdre la spécificité de cette notion.

La mise en pratique de cette attitude dynamique permet de redonner une puissance analytique au concept de Fundierung qui fait apparaître, finalement, un premier jalon bien structuré pour soutenir le projet d’une logique phénoménologique encore in fieri. Ce qui est caractéristique de cette dynamisation de la notion en question est sa ductilité instrumentale : d’un seul coup elle se prête pour caractériser et répertorier une gamme de phénomènes de plus en plus vaste.

On donnera plusieurs exemples de cette nouvelle dynamique et on en présentera des possibilités ultérieures de développement. Cela au sens où il faut saisir qu’il s’agit d’un chantier encore à cartographier pour disposer pleinement des possibilités pour l’instant seulement entraperçues.

 

Le monde comme texte : introduction au réalisme constructiviste 

Le travail de M.Quadranti constitue une recherche grandiose sur les fondements perceptifs et cognitifs de la connaissance humaine autant dans la vie quotidienne que dans la science physique, qu’il reconstruit d’une façon formelle et systématique. Sa conception part de trois sources d’inspiration : L’épistémologie génétique de Piaget, La construction logique du monde de Carnap et la thèse structuraliste relative à ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « termes théoriques », thèse que je défends moi-même. Dans son ensemble et dans sa façon de procéder, la recherche de Quadranti rappelle fortement la tentative de Carnap. Pourtant ce dernier, à cause de son choix radicalement empiriste, est pris dans plusieurs difficultés difficiles à surmonter, comme Quadranti le rappelle justement. Dans la mesure où il propose un choix non empiriste, qui combine les concepts de Piaget avec le structuralisme en théorie des sciences, Quadranti peut surmonter les difficultés en question (en particulier dans la construction du temps, de l’espace et de la substance en partant d’une base « perceptive » minimale).

Bien que l’utilisation des trois sources d’inspiration citées (Piaget, Carnap et le structuralisme) semble aller de soi pour la reconstruction formelle de notre connaissance du monde physique, à ma reconnaissance aucun autre auteur n’a osé entreprendre une telle tentative. En cela, la recherche de Quadranti est sans doute hautement originale. D’autre part – à la différence de la plupart des tentatives de ce genre – sa thèse constructiviste ne s’arrête pas à l’état d’esquisse ; au contraire elle est réalisée d’une façon formelle stricte, dans la mesure où il est fait recours aux outils logiques et mathématiques nécessaires.

 

Décrire, écrire, dessiner la conscience. Introduction à l’écriture formelle phénoménologique et aux diagrammes des syntaxes de conscience

Dessiner la conscience, mettre à plat les vécus, les disposer sur « le tableau ou la table phénoménologique », c’est littéralement ce que dit et fait la phénoménologie (Husserl, Idées I, § 76). Et s’il s’agit, bien entendu une manière imagée de s’exprimer, il ne doit pas être interdit d’y recourir, car la neutralisation même de la charge de réalisme véhiculée par de tels images s’exprime à son tour par l’adjonction de traits supplémentaires : en l’occurrence l’apposition de parenthèses (celles de l’épochè) et l’adjonction d’un certain indice (celui de la réduction). Par-delà la phénoménologie de l’espace, qui n’est sans doute pas plus spatiale ou spatialisante que le noème d’espace ne brûle, il s’agit de proposer à terme des graphes des structures intentionnelles de la conscience.

On n’oubliera pas non plus les diagrammes du temps et l’évolution de leur fonction entre les leçons de 1905 et les recherches de 1918. Sans trancher la question – en règle générale mal posée  –  d’une «géométrie des vécus», il reste que la situation est exactement analogue à celle qui règne en géométrie, où l’intuition spatiale n’a entravé le développement de la pensée formelle (qui s’est déployé dans les mathématiques à partir de Riemann, Galois, Poincaré etc.) que lorsqu’on perdait de vue sa fonction «  analogisante ».  Des structures formelles peuvent se laisser dessiner, inversement un dessin est susceptible de plusieurs formalisations (de supporter plusieurs formations syntaxiques). L’usage des représentations spatiales ne doit donc pas entraver le travail de description d’une phénoménologie attentive aux structures, aux syntaxes de conscience.